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recours[1]. » Ces paroles, au dire de Hardy, furent débitées par le jeune prince « avec une force et une fermeté infiniment au-dessus de son âge. » C’est ce que Louis XVI, le lendemain, expliquait lui-même à Turgot avec sa bonhomie coutumière : « Le vrai est que je suis plus embarrassé avec un homme seul qu’avec cinquante[2]. »

La séance, tout compte fait, n’avait duré que trois quarts d’heure. Les magistrats reprirent le chemin de Paris, un peu « intimidés, » mais « nullement mécontens de l’accueil de Sa Majesté. » L’effet produit sur l’opinion par le lit de justice fut généralement favorable. Les citoyens, se sentant protégés, reprirent promptement confiance. « Toutes les nouvelles de Paris sont bonnes, et on a été content de ce qui s’est passé hier, à ce qu’il me semble, » écrira Louis XVI le 6 mai. En revanche, ajoute-t-il, « nous devions bien nous douter que le mal gagnerait les campagnes. » En effet, pendant quelques jours, de province on reçut d’assez fâcheuses nouvelles. A Fontainebleau, à Sens, et dans toute l’Ile de France, « à dix lieues à la ronde » aux entours de la capitale, on signala des émeutes, des pillages, une espèce de jacquerie sur vingt points à la fois. Toujours des bandes saccageant sans profit, brûlant, noyant les grains, pour le seul plaisir de détruire, agissant, en un mut, comme d’après un plan préconçu pour affamer Paris, accroître la détresse publique et affaiblir ainsi l’autorité du Roi. A Paris même et à Versailles, le calme régnait dans les rues ; mais, en dépit des forces déployées, des patrouilles et des sentinelles, qui donnaient à ces villes l’air de places assiégées, chaque nuit « d’infâmes placards » apposés sur les murs, sans qu’on en pût découvrir les auteurs, glaçaient d’horreur tous les bons citoyens. De ces placards, les uns portaient ces mots : Louis XVI sera sacré le 11 juin, et massacré le 12 ; d’autres : Si le pain ne diminue pas, nous exterminerons le Roi et toute la race des Bourbons. On découvrit avec stupeur au château de Versailles, et sur la porte même du cabinet du Roi, une affiche conçue en ces termes : Si le pain ne diminue pas et si le ministère n’est changé, nous mettrons le feu aux quatre coins du château[3].

En présence de cette persistance et de ces bravades effrontées,

  1. Journal de Hardy, passim.
  2. Lettre du 6 mai 1773. — Documens publiés par M. Dubois de l’Estang.
  3. Journal de Hardy, passim.