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de la Cour. Louis XVI, « assis et couvert, » prit alors la parole. Le bref discours qu’il prononça avait été rédigé à l’avance, mais il en oublia le texte au moment décisif : « La mémoire, avoua-t-il plus tard[1], a pensé me manquer au premier discours ; j’y ai suppléé comme j’ai pu, sans me déconcerter. » Sa harangue, en effet, fut nette autant que substantielle : « Messieurs, dit-il, les circonstances où je me trouve, et qui n’ont point d’exemple, me forcent de sortir de l’ordre commun et de donner une extension extraordinaire à la juridiction prévôtale. Je dois et je veux arrêter des brigandages dangereux, qui dégénéreraient bientôt en rébellion. Je veux pourvoir à la subsistance de ma bonne ville de Paris et de mon royaume. C’est pour cela que je vous ai assemblés, et pour vous faire connaître ma volonté, que mon Garde des Sceaux va vous expliquer. »

Miromesnil fit en effet l’historique de l’affaire et exposa l’urgente nécessité d’une procédure exceptionnelle. On remarqua tout spécialement cette phrase de son discours : « Lorsque les troubles seront totalement calmés, lorsque tout sera rentré dans le devoir et dans l’ordre, le Roi laissera, lorsqu’il le jugera convenable, à ses cours et tribunaux ordinaires le soin de rechercher les vrais coupables, ceux qui, par des menées sourdes, peuvent avoir donné lieu aux excès qu’il ne doit penser dans ce moment qu’à réprimer. » Nous examinerons tout à heure le sens de cette mystérieuse allusion. Il fut ensuite donné lecture de l’ordonnance, cause du litige, et l’on alla enfin aux voix. L’enregistrement ne rencontra que deux oppositions formelles, un conseiller nommé Fréteau et le prince de Conti. « Il y a eu beaucoup d’avis assez modérés, rapporte Louis XVI à Turgot aussitôt après la séance[2]. Quelques-uns ont demandé les anciens réglemens, mais le (procureur) général avait beaucoup rabaissé de son impertinence d’hier et avait grande peur. » Le Roi termina la séance par cette petite allocution : « Vous venez d’entendre mes intentions. Je vous défends de me faire aucunes remontrances sur ce que je viens d’ordonner et de rien faire qui puisse y être contraire. Je compte sur votre fidélité et votre soumission, dans un moment où j’ai résolu de prendre des mesures qui m’assurent que, pendant mon règne, je ne serai plus obligé d’y avoir

  1. Lettre du 5 mai 1775, 6 heures du soir. — Documens publiés par M. Dubois de l’Estang, passim.
  2. Lettre du 5 mai, 6 heures du soir, ibidem.