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les quatre livres, au lieu de treize et demi la veille, » — ce qui nécessairement « faisait crier le menu peuple, » et le disposait mal à soutenir les autorités. Par une non moins fâcheuse rencontre, une cérémonie militaire, la bénédiction des drapeaux, avait été fixée à cette même matinée. Le maréchal duc de Biron, qui commandait la garnison , refusa de donner contre-ordre, craignant, allégua-t-il, d’alarmer la population. Par suite, les troupes, massées et concentrées dans un des quartiers de Paris, ne purent agir à temps pour prévenir les premiers désordres.

La plus grosse bande piqua droit sur la halle aux grains, dans l’intention avouée de la prendre d’assaut et de « crever les sacs de farine. » Ils la trouvèrent gardée par un peloton de mousquetaires, dont la contenance leur imposa. Ils abandonnèrent leur dessein, se rabattirent sur les marchés et sur les boulangeries, dont ils forcèrent les portes avec des pinces de fer. Le pillage, au début, se fit avec une espèce de méthode. On s’emparait des pains en les payant deux sous et, sur l’ordre des chefs, on respectait les tiroirs et les caisses. Les bourgeois, ébahis, regardaient et ne soufflaient mot. Les quelques forces policières que l’on rencontrait çà et là gardaient de même une attitude passive, ayant eu pour consigne « de ne faire feu dans aucun cas, de se laisser plutôt insulter, maltraiter par la populace. » On vit même, assure-t-on « des suppôts de police forcer les boulangers à ouvrir leurs boutiques et à donner du pain aux mutins. Les mousquetaires causaient gaiement avec ceux-ci, et quelques-uns, plus compatissans, leur jetaient de l’argent pour payer le pain qu’ils avaient enlevé. »

On imagine sans peine que la journée ne garda pas longtemps cette physionomie idyllique. Les séditieux s’animaient, s’échauffaient au jeu, entraient chez les particuliers, perquisitionnaient dans les caves, pour s’assurer, prétendaient-ils, qu’on n’y recelait point de provision de pain. Une petite troupe s’introduisit, en manière de bravade, dans la demeure d’un commissaire de police de Paris, le sieur Couvert Désormeaux, place, Maubert ; « un petit garçon de dix ou douze ans eut l’effronterie d’entrer dans son cabinet et jusqu’au fond de son jardin, pour faire une perquisition plus exacte ; » le commissaire, tremblant, subit cette visite sans mot dire[1]. D’autres, plus « malhonnêtes »

  1. Ces détails, comme la plupart de ceux qui précèdent, sont tirés du journal de Hardy, qui assistait à ces scènes.