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selon la rigueur des principes, certains problèmes qui demanderaient, pour être conduits à bonne fin, une main souple, légère, et une adaptation flexible aux nécessités du moment.

Le prix du pain, l’approvisionnement en blé, furent toujours, sous l’ancien régime, le principal souci de l’administration royale. L’insuffisance des routes, peu nombreuses et mal entretenues, la difficulté des charrois, la lenteur des transports, mettaient les provinces éloignées et les villes populeuses à la merci d’une récolte manquée. Ces mêmes raisons facilitaient le métier lucratif d’accapareur de blés ou de farines. Aussi voit-on sans cesse, sous Louis XIV et sous Louis XV, les intendans occupés à traquer d’avides spéculateurs, les contraignant à rendre gorge, les punissant parfois des peines les plus sévères. Jusqu’à cette heure, le régime adopté pour le commerce et pour l’exportation des grains avait varié d’après les circonstances, tour à tour large ou restrictif, — on dirait aujourd’hui libre-échangiste ou protectionniste, — selon qu’on craignait la disette ou qu’on prévoyait l’abondance. Mais jamais les fluctuations n’avaient été aussi rapides qu’au cours des dix dernières années. La législation libérale de juillet 1764, qui autorisait les échanges de province à province, et même, jusqu’à un certain point, l’exportation hors des frontières de France, avait fait place, six ans plus tard, sous le ministère de Terray, à une réglementation sévère. Une vaste société avait été formée, dont les membres, assurait-on, n’étaient que les prête-nom de plus grands personnages, une société à laquelle le ministre avait, en quelque sorte, remis le monopole du commerce des blés. C’est ce qu’on a nommé, d’un nom beaucoup trop gros, le pacte de famine, et c’est ce dont, quinze ans plus tard, tireront un si dangereux parti les premiers chefs de la Révolution[1]. D’ailleurs, devant le murmure général Terray lui-même avait bientôt dû baisser pavillon. Force lui fut d’abroger la « ferme des blés » et d’instituer à sa place une « régie, » dont. le but était à peu près le même. Ce but, louable en lui-même, était de procurer dans la mesure possible l’égale répartition des grains, en attribuant aux provinces pauvres le superflu des pays riches, et d’établir ainsi, par une équitable

  1. Consulter à ce propos le livre si documenté de M. Gustave Bord, Le pacte de famine, où il montre l’invraisemblance des accusations les plus graves portées contre Louis XV et quelques-uns de ses ministres.