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Turgot, en terminant, invoquait à nouveau les engagemens pris par le Roi : « Votre Majesté se souviendra que, c’est sur la foi de ses promesses que je me charge d’un fardeau peut-être au-dessus de mes forces, que c’est à Elle personnellement, à l’homme juste et bon, plutôt qu’au Roi, que je m’abandonne... La bonté attendrissante avec laquelle Elle a daigné presser mes mains dans les siennes, comme pour accepter mon dévouement, ne s’effacera jamais de mon souvenir et soutiendra mon courage. » Ce langage, ces souvenirs, une si noble confiance, ne pouvaient manquer leur effet sur l’âme jeune et sensible du prince. Quand, le lendemain, le nouveau contrôleur, après avoir montré au Roi l’importance de donner lui-même l’exemple des sacrifices nécessaires, crut devoir ajouter avec simplicité : « Tout cela, M. l’abbé Terray l’a sans doute déjà dit à Votre Majesté. — Oui, répondit Louis XVI avec une émotion sincère, oui, il me l’a dit, mais il ne me l’a pas dit comme vous ! »

Sous le coup de cette émotion, Louis XVI brûlait d’une juvénile ardeur de faire paraître sa bonne volonté. Une lettre au duc de La Vrillière ordonnait certaines réductions dans le service de la vénerie, supprimait certaines sinécures, réformait une partie des chevaux et des chiens. Presque dans le même temps, il refuse à Buffon un crédit de 40 000 livres pour l’amélioration du Jardin Botanique, au marquis de Chabrillan un modique supplément de fonds pour le service des eaux. Il pousse le zèle jusqu’à réclamer à Terray 300 000 livres accordées jadis par Louis XV à son ministre des finances, et il le force à reverser cette somme au trésor de l’Etat. Rien de plus sincère, à coup sûr, que ce désir d’épargne. Il faut pourtant voir l’envers du tableau. La Reine, trois mois plus tard, voyait les fonds de sa cassette enrichis de 106 000 livres, son écurie presque doublée, le personnel à son service accru dans les mêmes proportions. Bientôt après, ce sont des faveurs du même genre aux comtes de Provence et d’Artois : augmentation de leurs maisons et gros supplémens d’apanages. Ce que le Roi fait pour ses frères, comment le dénier à ses tantes ? Chacune d’elles n’avait jusqu’alors que six « dames pour accompagner ; » chacune en aura trois de plus. Tout est à l’avenant. Louis XVI, par ces contradictions, ne justifie que trop le pronostic de l’abbé Galiani : « Si le nouveau Roi est économe, il aura les trois quarts des vertus propres à la