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donc s’abstenir d’un zèle indiscret qui déchaînerait contre la Grèce les pires dangers. Ces dangers ont été évidens au cours de ces dernières semaines : les vrais amis de la Grèce en ont éprouvé de réelles inquiétudes. On a pu se demander un moment s’il n’y avait pas, de la part de la Jeune-Turquie, une volonté arrêtée de faire parler la poudre. Le gouvernement de Constantinople a protesté du contraire, et nous croyons à sa parfaite bonne foi ; mais il a pour le moins joué avec le feu, et si la Grèce n’avait pas été aussi prudente et aussi sage, l’incendie n’aurait pas manqué d’éclater. Le gouvernement turc n’y poussait pas, soit ; mais il aurait accepté ce dénouement sans grand déplaisir, et d’ailleurs sans la moindre appréhension, car il était convaincu de sa supériorité militaire sur la Grèce, et tout porte à croire qu’il avait raison d’y croire. Confiante dans ses intentions, qui sont sincèrement pacifiques, et résolue à vivre d’accord avec son puissant voisin, la Grèce n’a fait depuis assez longtemps aucune préparation militaire propre à la garantir contre la surprise d’un choc immédiat. Si elle était attaquée, elle se défendrait avec vaillance, comptant sur la justice de sa cause et sur les sympathies actives qu’elle ne manquerait pas de rencontrer au moment décisif ; mais elle n’est pas prête à soutenir ces redoutables aventures, et la Crète, en l’y exposant, lui donnerait une singulière marque de son affection et de son dévouement. Il y a des amours qui tuent : celui de la Crète serait peut-être de ceux-là, s’il devenait trop impatient et trop exigeant. On ne paraît pas au premier moment l’avoir compris en Crète, puisqu’il a fallu l’intervention effective des puissances pour abattre le drapeau de la Canée, mais on l’a fort bien compris à Athènes et on y a montré une maîtrise de soi-même digne de tout éloge. Poussé à ce point, le sang-froid est une des plus belles formes du courage. La Grèce, qui a pu commettre des imprudences et des fautes dans d’autres circonstances, n’en a commis aucune dans celle-ci. Ses réponses aux demandes de plus en plus pressantes de la Porte ont toujours été concluantes et courtoises. Elle a été, sans le dépasser, jusqu’au point où sa dignité devait l’arrêter. Au surplus, en ce qui concerne la Crète, la Grèce avait, qu’on nous passe le mot, une parade très simple à opposer aux notes directes que lui adressait, que lui poussait le gouvernement ottoman. — Pourquoi s’adresser à elle ? Est-ce que le gouvernement ottoman n’avait pas accepté autrefois, et même demandé que la Crète fût mise en quelque sorte en dépôt entre les mains des quatre puissances ? C’est donc aux quatre puissances que la Porte doit s’adresser. La Grèce ne veut, pour son compte, que ce que les puissances veulent ; elle s’est conformé