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était difficile de raisonner avec sécurité. La diplomatie continue de garder ses secrets ; ni les notes anciennes, ni les nouvelles, n’ont été encore intégralement publiées ; mais des faits visibles, tangibles, se sont produits, et la situation générale en a été sensiblement détendue.

Le premier de ces faits a été la suppression du drapeau hellénique sur la citadelle de la Canée. Les autorités crétoises, revenues à une plus saine appréciation des choses, ont compris que le mieux pour elles aurait été d’amener spontanément le drapeau ; elles en ont donné courageusement le conseil ; mais l’opinion était encore trop surexcitée pour que ce conseil fût suivi. Craignant des troubles, elles ont préféré démissionner et laisser agir les puissances. Celles-ci avaient pris leurs précautions ; elles avaient envoyé dans les eaux crétoises un nombre de vaisseaux suffisant pour décourager toute résistance ; aussi n’y en a-t-il eu aucune. Tout fait croire que la population elle-même avait fini par comprendre que cette résistance, si elle se produisait, amènerait fatalement une nouvelle et durable occupation de certains points de l’Ile par les détachemens militaires des quatre puissances, et cette crainte, qui a été le commencement de la sagesse, a produit la soumission. Quelques soldats européens ont débarqué dans l’île ; le drapeau déclaré séditieux a été abattu ; tout s’est passé rapidement, un matin, de bonne heure, sans aucune manifestation hostile. Sur un autre point de l’ile, à Candie, on a fait mine de hisser un autre drapeau grec ; mais le geste imprudent s’est arrêté court ; le drapeau a été enlevé aussitôt qu’arboré, si même il a été arboré ; il n’y a eu là qu’une velléité et les puissances n’ont pas eu à intervenir. Avons-nous besoin de dire qu’elles l’auraient fait sans hésitation, s’il l’avait fallu ? Toute opposition de la part des Crétois aurait été jugée intolérable et, effectivement, n’aurait pas été tolérée. Aussi longtemps que les Crétois ont été sous le joug ottoman et qu’ils ont risqué leur vie pour s’en affranchir, leur cause a trouvé des sympathies et des appuis en Europe. Mais aujourd’hui, la Crète a un gouvernement autonome ; elle est parfaitement libre ; elle peut se gouverner à sa guise ; l’Europe a donc le droit de se préoccuper avant tout de son propre intérêt, qui est la paix. La Crète veut s’unir à la Grèce : soit, mais qu’elle attende ; le moment n’est pas venu. Et comme cette attente ne peut désormais faire souffrir la Crète que dans son imagination, il faudra bien qu’elle s’y résigne.

Elle s’y résignera d’autant mieux, à la réflexion, que l’intérêt de la Grèce est qu’elle le fasse. Si la Crète désire ardemment l’union avec la Grèce, c’est qu’elle l’aime, comme on aime la mère-patrie ; elle doit