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le gouvernement d’alors, on se demande si l’épithète d’arbitraire dont nous nous sommes servis n’est pas un peu faible pour caractériser l’acte que le nouveau cabinet est en train d’accomplir. Dans son discours à la Chambre, M. Briand avait fait allusion aux postiers, dont l’extrême gauche exigeait la réintégration, et il avait conclu : « Je ne vous dis pas aujourd’hui, je ne vous dis pas demain, mais je ne vous dis pas non plus jamais. » Soit ; quelques mesures d’indulgence n’auraient été blâmées par personne, si elles avaient été prises avec discernement et en temps opportun. Mais le ministère n’a même pas attendu à demain : il a opéré dès aujourd’hui des réintégrations qui ressemblent à des réparations, et que les postiers envisagent naturellement comme telles. Tout cela se fait trop tôt et trop vite. Nous ne voulons rien exagérer ; nous ne donnerons pas à ces premiers actes du ministère plus d’importance qu’il ne faut ; mais ce ne sont pas encore ceux que nous attendions et que nous continuons d’attendre de lui. Ces actes, en effet, ne constituent que de la politique à la petite semaine, et il n’était pas nécessaire d’avoir M. Briand pour les accomplir : beaucoup d’autres, même parmi les moindres, y auraient suffi.

Puisque nous parlons d’apaisement et de la manière de le réaliser, veut-on un exemple de ce qu’il aurait fallu ne pas faire, si on veut sincèrement atteindre ce but ? Il aurait fallu ne pas charger M. Delpech, sénateur de l’Ariège, de prononcer un discours à la distribution des prix du lycée de Foix. M. Delpech est libre-penseur et franc-maçon notable ; il ne se contente pas d’être anticlérical, il est anti-religieux ; il croit que la religion en général, et la religion catholique en particulier, déforme lamentablement l’esprit en y introduisant des superstitions dangereuses et corrompt le caractère en l’habituant aux procédés d’une casuistique dont il dirait volontiers que Pascal a fait justice, si Pascal ne lui était pas suspect par d’autres côtés : aussi aime-t-il mieux citer, parmi les flambeaux de l’humanité, Rabelais et M. Zola. C’est le droit incontestable de M. Delpech de penser ainsi et d’exprimer sa pensée dans des réunions publiques, au Sénat, à la rue Cadet, enfin partout ailleurs que sur l’estrade d’une distribution de prix. Si on voulait lui mettre un bâillon sur la bouche, nous serions les premiers à protester ; mais l’école publique doit être neutre, c’est-à-dire respectueuse de toutes les croyances, et il est d’une rare inconvenance de ridiculiser et de flétrir devant des enfans ce qui est peut-être la foi de leurs familles, et ce qui l’est même certainement dans bien des cas. M. Delpech est connu comme libre-penseur