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avons approuvé : qui ne l’aurait-pas fait ? Mais il y a des manières fort différentes de comprendre l’apaisement, et celle que le ministère a pratiquée, au moins jusqu’ici, à la fois trop facile et trop arbitraire, est insuffisamment efficace. Les gouvernemens antérieurs, depuis une dizaine d’années, ont considéré la France, non pas comme une nation qui devait tendre à l’unité morale par la fusion des élémens divers dont elle était formée, mais comme un champ clos où deux armées se faisaient une guerre d’extermination. Le rôle du gouvernement, au lieu d’aider à la conciliation, a consisté à prendre fait et cause pour une des deux armées et à la soutenir contre l’autre per fas et nefas. Une politique d’apaisement est tout juste le contraire de celle-là. C’est d’ailleurs une œuvre de longue haleine qui, entreprise résolument, doit être conduite avec prudence. Le ministère qui la réalisera aura dans l’histoire une belle place à côté des gouvernemens qui déjà, dans le passé, après des périodes de discordes, ont su, à force d’intelligence, d’autorité et d’habileté, disons plus simplement à force de cœur, ramener la paix par la tolérance et la maintenir par ses propres bienfaits. Est-ce ainsi que M. Briand a conçu son œuvre ? Qui peut le savoir ? Il est certainement trop tôt pour dire non, mais ses premiers actes ne permettent pas encore de dire oui.

Le gouvernement s’est borné à ouvrir les prisons qui enfermaient des condamnés politiques de toutes les catégories, et à réintégrer dans l’administration des postes une partie des employés qui en avaient été exclus par voie de révocation, en attendant qu’il les y fasse tous rentrer. Nous avons dit que cela était facile et arbitraire. La première épithète est assez claire ; la seconde a à peine besoin d’être expliquée. Le geste de M. Briand est celui qui accompagnait autrefois le don de joyeux avènement. Il se comprenait mieux qu’aujourd’hui dans un temps où un pouvoir supérieur à tous les autres pouvait annuler leurs décisions. Cela, même alors, n’allait pas sans inconvéniens ; mais ces inconvéniens sont fort accrus dans une république où le pouvoir change souvent de mains et où son action personnelle, lorsqu’elle infirme des décisions judiciaires, ne saurait manquer de porter atteinte à l’autorité et à la dignité de la justice. Notre critique ne s’applique pas dans les mêmes termes aux dispositions prises à l’égard des postiers ; une mesure administrative peut évidemment être modifiée ou même supprimée par une autre ; mais lorsqu’on se rappelle dans quelles conditions plusieurs centaines de postiers avaient été frappés, avec l’adhésion formelle de la Chambre qui avait approuvé et soutenu