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se dispenser d’émettre sa première proposition, puisqu’il devait tout aussitôt la détruire par la seconde. Il n’est d’ailleurs pas le seul qui, blase par les événemens anarchiques de ces dernières années, professe une certaine indifférence, sinon pour les choses, au moins pour les personnes. M. Briand lui-même ne se fait aucune illusion à cet égard, puisque dans son discours à la Chambre, il a parlé de lui comme il suit : « Dans des milieux où je craignais presque de passer pour modéré, j’ai vu des fronts se rembrunir ; on se demandait : — N’est-il pas dangereux de confier les intérêts du pays à cet homme ? Il est audacieux. — Au contraire, dans d’autres milieux où de telles in- quiétudes auraient été plus naturelles, on a dit : — Eh bien ! celui-là autant qu’un autre. » La Chambre a ri, si on en croit le Journal officiel. « Celui-là autant qu’un autre, » est le mot qui vraiment, pour parler comme M. Sarrien, « répond le mieux à la situation parlementaire. »

Ce mot, pourtant, est-il tout à fait juste, et M. Briand n’est-il pas trop modeste ? Personne ne sait exactement ce qu’il est aujourd’hui, ni ce qu’il sera demain, et on aime mieux oublier en partie ce qu’il a été hier ; mais tout le monde lui reconnaît de grandes ressources d’esprit et un remarquable talent de parole. Il y a des hommes qui resteraient cinquante ans dans les Chambres sans attirer un seul moment l’attention sur eux ; M. Briaud l’a attirée sur lui tout de suite et n’a pas tardé à l’y fixer. Venu de très loin, des confins de l’extrême-gauche collectiviste, il a dit l’autre jour à la Chambre que, parmi ses idées d’autrefois, il avait opéré un « tri, » conservant les unes et rejetant les autres, suivant que l’expérience les avait confirmées ou condamnées ; mais il n’a pas expliqué comment l’opération s’était faite, ni où elle s’était arrêtée. Aussi garde-t-il en lui un je ne sais quoi de mystérieux qui continue d’exciter l’intérêt. Malléable et perfectible, il a déjà évolué, il évoluera sans doute encore. On serait embarrassé de dire ce qu’on attend de lui, mais à tort ou à raison on en attend quelque chose. Ce n’est pas seulement un homme nouveau c’est un homme qui se renouvelle, il en a convenu lui-même dans son discours. Dès lors, la confiance qu’il a demandée à la Chambre et que celle-ci lui a accordée largement, — comme l’aurait fait un simple conseil général, — ne saurait cependant être sans limites. Elle veut dire simplement que, en dehors de tout parti-pris préalable, on attend M. Briand à l’œuvre. Ses premiers actes ne permettent pas encore de porter sur lui, même un premier jugement. Le ministère a voulu être un ministère d’apaisement et de détente, et nous l’en