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ne fut jamais ennuyeux, c’est bientôt dit de l’appeler un amuseur, et surtout ce n’est pas assez dire. Plaisant, il l’est sans doute et souvent il se contente de l’être. Il l’est, en maint passage de la Création ou des Saisons, à la manière de Delille. Mais, en tel autre, c’est à la façon de Lamartine que vous le trouverez abondant et magnifique. Lisez plutôt l’épisode des moissonneurs et l’admirable cantique si justement rappelé par le biographe : « O Fleiss, o edler Fleiss, von dir kommt aller Heil. » Les vers de Jocelyn : « O travail, sainte loi du monde, » viendront naturellement à votre mémoire et sur vos lèvres, pour traduire, non pas les paroles, mais les sons. « Io sono un paesano, » répétait volontiers Verdi, faisant allusion à je ne sais quoi de rude et de voisin de la terre qu’au fond de lui-même il sentait. Mais le vrai, le grand paysan de la musique, ce fut autrefois le musicien des Saisons. L’amour de la nature est admirable chez lui de force, d’allégresse et de sérénité. Rien n’y apparaît encore de ce mystère, de ce trouble, en un mot de ce romantisme, que les Weber, les Schubert et les Schumann un jour exprimeront. La vision de ceux-ci pourra bien être plus profonde ou plus intérieure ; elle n’aura jamais plus d’étendue avec plus de splendeur.

Dans l’ordre sacré comme dans l’ordre naturel ou pittoresque, vous plaît-il de voir jusqu’où peut s’élever Haydn, ou plutôt comment il passe d’un ordre à l’autre, ou, mieux encore, comment l’un et l’autre se mêlent, se confondent chez lui ? Voilà ce que le biographe du maître a finement aperçu. Dieu sensible à travers la nature, dans ses œuvres plus que dans ses temples, tel est le Dieu d’Haydn, celui que le musicien de la Création et des Saisons a le mieux compris et le mieux loué. « Ainsi, dit très bien Mlle Brenet, les oratorios de Haydn corrigent l’erreur où pouvait nous conduire l’examen de sa musique religieuse. Ses messes, qui froissent nos sentimens par les formes d’un style si « mondain » ou si léger, ne sont pas l’œuvre d’un « épicurien ; » elles émanent d’un « optimisme » naïf et absolu, que les oratorios développent et précisent. Haydn avait traduit, dans la Création, les versets de la Genèse où il est dit que Dieu, ayant regardé son œuvre, vit que tout était bien, et il en avait fait toute sa philosophie. Par là s’éclaire d’un coup tout son art. La joie, finalité de la musique comme de la vie... « 

Arrêtons la citation à cette formule. Elle résume avec exactitude l’œuvre de Haydn, à condition pourtant qu’on la complète, qu’on ajoute à la joie, pour la tempérer et l’ennoblir, quelque chose de plus calme et de plus auguste qu’elle, un principe de gravité, de sagesse