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Et le biographe d’ajouter, citant un confrère d’Allemagne : « Il est donc bien vrai de dire qu’au fond Haydn était encore naïf comme un artiste du moyen âge. A moins que ce ne fût comme un enfant des champs. » Des deux comparaisons, la seconde est la meilleure. A l’église comme à la campagne, devant Dieu comme devant la nature, Haydn a le regard et l’âme d’un enfant. « Il n’avait, » poursuit Mlle Brenet, « rien dépouillé de ses inclinations natives et des directions reçues au temps de sa toute première formation intellectuelle. A Rohrau, comme en tous les villages chrétiens, le peuple alliait l’idée de « fête « et de « réjouissance » avec celle du repos dominical et du « jour du Seigneur, » « l’idée de beauté divine » avec celle d’opulence. Et de même que la dévotion des foules habillait d’une robe de brocart très raide et couronnait d’un diadème chargé de fausses pierreries l’image miraculeuse de « l’Enfant Jésus de Prague, » de même Haydn, à l’instar d’un grand nombre de musiciens catholiques, n’aurait jamais cru se montrer, dans une messe, trop prodigue de toutes les prétendues « richesses » de la composition. »

Tout à l’heure, à propos de la Création ou des Saisons, nous évoquions l’image d’une ménagerie ou d’une arche de Noé. Les messes de Haydn feraient plutôt penser à ces autels que les petits, au temps de Noël, disposent encore sur la cheminée de leur chambre, et qu’ils dressaient jusque dans la rue, quand la rue avait encore le droit d’être pieuse, pendant la semaine de la Fête-Dieu. Eux non plus, ils ne les trouvent jamais, leurs chapelles ou leurs « crèches, » assez brillantes, assez magnifiques, assez ornées de lumières et de fleurs. « Prodigue, » écrivait plus haut le biographe d’Haydn. Oui, prodigue, « enfant prodigue, » soit dit en détournant les deux mots de l’Évangile dans le sens innocent, ingénu, tel nous apparaît, autant que le Haydn descriptif ou pittoresque, le Haydn religieux.

N’allons pas trop loin cependant. Gardons-nous surtout, pour la seule naïveté de l’enfance, d’en oublier la pureté, le sérieux, voire la gravité. J’ai toujours aimé cette observation faite par Gounod sur lui-même, du temps qu’il composait Roméo et Juliette : « il me semble que j’entends me parler en dedans quelque chose de très grand, de très clair, de très simple et de très enfant à la fois. Il me semble me retrouver avec ma propre enfance, mais élevée à une puissance toute particulière. » Le génie, et le génie d’un Haydn entre autres, ressemble à cette élévation, à cette transfiguration de l’enfance, où la simplicité s’accorde avec la grandeur et l’accroît peut-être encore. Comme l’écrivait à peu près M. de Wyzewa, sous prétexte que Haydn