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regard et son esprit s’attachait, se plaisait à toutes les formes, fût-ce les plus humbles, de la vie des champs. Ainsi que La Fontaine encore, moins le goût de l’apologue et de la philosophie, ou de la « morale, » Haydn parait avoir aimé le commerce, la familiarité des bêtes. Grand paysagiste de la musique, il en fut aussi l’animalier par excellence, et cela nous explique le côté, — comment dire ? — un peu arche de Noé, ménagerie ou basse-cour, qui, dans les Saisons et la Création même, nous divertit et ne nous choque point.

« Naïf comme l’enfance, » tel était l’artiste chez Haydn, et tel aussi le croyant. Il eut de bonne heure et garda jusqu’à son dernier jour la foi de ces petits à qui Jésus promit les cieux. Les biographes rapportent qu’il disait à l’un de ses confrères : « Je me lève de bonne heure et, sitôt habillé, je me mets à genoux, et je prie Dieu et la Sainte Vierge que tout me réussisse encore aujourd’hui. Après que j’ai pris un petit déjeuner, je m’assieds à mon clavier et je commence à chercher. Si je trouve tout de suite, cela marche vite, sans beaucoup de peine. Mais quand cela n’avance pas, je reconnais que j’ai perdu la grâce par un péché quelconque, et alors je me remets à prier jusqu’à ce que je me sente pardonné. »

Les manuscrits de Haydn, ceux de ses œuvres même profanes, portent souvent en épigraphe une formule d’oraison ou d’action de grâces. Mais avec cela, ou malgré cela, jamais la musique d’église du maître (à l’exception des Sept Paroles) n’offre le moindre signe de l’esprit liturgique ou seulement religieux. Avec le sentiment, avec le texte, Haydn prend toute licence, il y a là, comme on l’a très bien dit, un singulier contraste entre l’impropriété de son art et l’intégrité de sa foi. De cette antinomie. Mlle Brenet a cherché premièrement la solution au dehors, et dans les circonstances, dans le temps ou le « milieu, » voire dans le « fait du prince, » que celui-ci d’ailleurs s’appelât Esterhazy ou Joseph II. Mais la meilleure raison, que le biographe donne ensuite, fut plus personnelle à Haydn, et consiste dans la nature même ou dans la qualité de sa foi. Pour qualifier les messes de Haydn, ou pour les classer, la critique a le droit d’hésiter entre la plus magnifique, la plus brillante et la plus gaie, elle aurait quelque peine à découvrir la plus pieuse et surtout la plus grave. Que si du reste elle s’en étonne, ou s’en effarouche, le bon maître, bonnement, répondra : « Je ne sais pas les écrire autrement. Lorsque je pense à Dieu, mon cœur est tellement plein de joie, que mes notes coulent comme d’une fontaine ; et puisque Dieu m’a donné un cœur joyeux, il me pardonnera de l’avoir servi joyeusement. »