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« Je soussigné promets à la signora Loisa Polzelli, dans le cas où je penserais à me remarier, de ne prendre pour épouse aucune autre que la dite Loisa Polzelli ; et si je reste veuf, je promets à la dite Polzelli de lui laisser après ma mort une pension annuelle de trois cents florins (300 fl.) en monnaie de Vienne, sa vie durant. En foi de quoi, pour servir devant toute juridiction, j’ai signé Joseph Haydn, maître de chapelle de Son Altesse le prince Esterhazy. — Vienne, le 23 mai 1800. »

« Après quoi, poursuit le biographe, la Polzelli, qui n’avait rien signé, épousa un chanteur, Luigi Franchi. » Haydn est capable d’en avoir éprouvé peu de courroux.

Il y avait de notre La Fontaine en lui. Pourtant, il n’aurait pas souscrit au vers fameux : « Notre ennemi, c’est notre maître. » Ses maîtres, car il en eut plusieurs de suite, les princes Esterhazy, ne furent jamais regardés, encore moins détestés par lui comme des ennemis. Quoi qu’il y eût de subalterne et de presque domestique en leur service, il les servit, durant trente années, sans honte et sans déplaisir. Des liens, peut-être plus étroits que ceux du mariage, lui parurent à peine moins légers. Il portait la livrée, car c’en était une, un peu comme un uniforme. Dans le magnifique domaine d’Esterhazy, où d’autres n’auraient vu qu’une prison, Haydn savait trouver un asile, et dans sa condition même, au lieu d’une atteinte à sa liberté, un secours pour son génie. « Mon prince, disait-il plus tard, était toujours content de mes ouvrages ; non seulement j’avais l’encouragement d’une constante approbation, mais, me trouvant à la tête d’un orchestre entièrement soumis à mes ordres, je pouvais faire des expériences, éprouver des effets : séparé du reste du monde, je n’avais à me tourmenter de rien, et j’étais forcé d’être original. »

Non seulement il ne se tourmentait de rien, mais il jouissait de tout : de la nature et de la campagne, des bois, des plaines et des eaux ; de tout ce que toujours il avait le plus aimé, de tout ce qui jadis avait formé son âme, une âme d’enfant et d’enfant rustique, la sienne maintenant encore et pour jamais.

Parfois sans doute il se prenait à regretter Vienne, surtout après le séjour de quelques semaines qu’il y faisait chaque hiver avec son prince. Des lettres de lui nous apprennent que la cuisine, autant que la musique et la société de la capitale, faisait alors l’objet de ses regrets. Mais le charme de la vie en plein air, de la promenade à pied, de la chasse et de la pêche, ne tardait guère à le reprendre. Une fois de plus, devant le vaste spectacle des choses, il oubliait les petites misères de « sa condition. » Comme celui de l’enfant toujours, son