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de Mozart. Quelques lignes décisives, expressives aussi, du critique, nous font voir, presque entendre comment cette symphonie (en mi bémol) est, d’un bout à l’autre, « saturée du génie de Mozart. » Au surplus, ce n’est ici que le témoignage suprême d’une longue admiration et d’une paternelle tendresse. On sait les sentimens du maître plus âgé pour le plus jeune. Des propos, des lettres connues en témoignent. Haydn eût volontiers redit à propos de Mozart l’humble parole du Précurseur : « Il faut qu’il croisse et que je diminue. » On n’ignore pas non plus comment ils se quittèrent l’un l’autre, le jour où Haydn partit de Vienne pour Londres : « O mon cher papa, s’écria Mozart, se jetant tout en pleurs dans les bras de Haydn, ce baiser sera le dernier. Nous ne nous re verrons plus. » Ils ne devaient plus se revoir. Mais une fois du moins, à sa manière, à leur manière à tous deux, dans un chef-d’œuvre en quelque sorte commun, Haydn a revu Mozart. Il l’a fait revoir, et revivre. Devant celui qu’il avait chéri, pleuré comme un fils, le « père » ou le « papa Haydn, » par je ne sais quel retour modeste et touchant, voulut être ou paraître l’enfant.

Aussi bien il eut, toute sa vie, et dans toute sa conduite, la simplicité, la naïveté de l’enfance. Il se maria plutôt à la légère. Les deux filles d’un perruquier prenaient des leçons avec lui. Fort épris de la première, il la demanda. Mais, comme elle avait résolu d’entrer au couvent, on lui donna la seconde . Fâcheux présent et pis aller véritable : la demoiselle était une pécore, « une bête infernale. » Elle eût fait le malheur d’un autre ; mais le malheur de Haydn était difficile à faire. Sa femme elle-même n’en vint pas à bout. Il la supporta vingt ans, avec bonne humeur. Alors seulement il rencontra dans la troupe de son patron, le prince Esterhazy, et dans la personne, dans la très jeune personne (elle avait dix-neuf ans) de la signora Luigia Polzelli, un agrément pour le présent et, pour l’avenir, une espérance. La cantatrice ne tenant pas plus à son mari que le compositeur à sa femme, chacun formait pour le trépas de son conjoint respectif des vœux platoniques et fervens. Le mari les exauça le premier. « Chère Polzelli, » écrit alors Haydn, « peut être arriver a-t-il, ce moment que nous avons si souvent appelé, où quatre yeux seront fermés. En voici deux de clos. Mais les deux autres ?... Qu’il en soit ce que Dieu voudra. » Dieu ne voulut qu’en 1800 fermer les yeux de Mme Haydn. Le veuf avait alors soixante-huit ans, et la veuve quarante. Elle n’exigea point le mariage, mais seulement la promesse de Haydn qu’il ne se marierait jamais avec une autre qu’elle. Le grand enfant promit, par écrit, en ces termes :