Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux morceaux de bois, le joueur de violon. Ce geste décida de son avenir. Un cousin, magister, — et Kapellmeister, aussi — d’un prochain village, emmena le gamin et lui donna les premières leçons. Peu après, un passant l’entendit et l’emmena encore. Plus loin cette fois, car le passant était un certain Reuter, maître de chapelle de la cathédrale de Vienne. Quelques années de cette maîtrise même n’apprirent guère autre chose à l’enfant de chœur que la pratique du répertoire. Reuter ne remarqua rien en lui. Quand vint l’âge de la mue, il quitta Saint-Etienne. Il en emportait peu de savoir, moins d’argent encore, mais beaucoup de courage et de gaîté. Un brave homme de chantre le recueillit. Alors commença pour Haydn une libre et vagabonde carrière. Hâtons-nous d’ajouter que, pour n’être pas sans aventure, sans péril même, elle fut du moins sans reproche. Assuré de trouver chez son hôte, un pauvre diable aussi, le gîte, sinon le souper tous les soirs, il se mit, écrit son biographe, « à regarder autour de lui vivre la grande ville. » Elle vivait alors en musique et c’est ainsi, lui-même, qu’il vécut.

En musique, et de la musique aussi, fût-ce la plus modeste : celle du théâtre jamais, quelquefois celle des salons, voire des salles à manger, — on aimait alors la « musique de table, » — mais le plus souvent celle des rues. « Se joindre à de petits orchestres de sérénades et battre avec eux chaque soir le pavé de la ville, un violon à l’épaule, était un métier suffisant pour nourrir à peu près son homme. Haydn en vécut l’été, à la manière des cigales, et, l’hiver, il servit par son jeu et par la composition de menuets, le répertoire des « redoutes » et des « tavernes. »

Son génie avec cela, ou malgré cela, se formait, et tout seul. Comme l’ « anarchie spontanée » dans les foules, il arrive que l’ordre spontané se produise dans une créature unique et choisie. A cette plante vivace, il suffisait de peu de soins : l’étude de quelque traité théorique, ou des sonates, récemment parues et achetées à grand’peine, de Philippe-Emmanuel Bach. Le hasard, ou mieux la Providence, à laquelle croyait pieusement le garçon, lui ménageait çà et là d’heureuses fortunes. Un jour, éconduit par le maître de chœur d’un couvent de Styrie, auquel il était allé soumettre ses essais, le jeune pèlerin se glissait dans le chœur même, et la façon dont il y tenait sa partie lui valait aussitôt, avec les avis souhaités, quelques jours d’hospitalité monastique et l’argent qu’il lui fallait pour retourner à Vienne. Peu après, le chantre qui l’avait pris chez lui venant à manquer, un autre de ses amis (un passementier cette fois) lui prêtait quelques écus, assez