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de Diane, de Minerve et de la Lune, lorsque Séjan essaie de se faire investir par les comices de l’Aventin d’une autorité révolutionnaire, lorsque, bien plus tard, en plein XIVe siècle, Cola di Rienzo lance du haut de l’Aventin son appel aux armes contre les barons féodaux, c’est qu’ils sont hantés par le souvenir prestigieux des traditions locales ; ils veulent, en quelque sorte, mettre leurs efforts démocratiques sous le patronage du passé, qu’ils viennent évoquer dans son sanctuaire : de tels faits suffisent pour proclamer l’union persistante entre le nom de l’Aventin et la cause populaire.

Là est bien la marque distinctive de cette montagne, et nous savons d’où elle lui vient. « Il y a un livre à écrire, a dit M. Perrot, dont l’épigraphe serait ce mot d’Aristote dans sa Politique : Athènes n’est pas partout la même ; le Pirée est plus démocratique que la Ville Haute. » Ne pourrait-on pas transporter cette formule dans l’histoire romaine, et dire que l’Aventin est un peu le Pirée de Rome ? Comme le Pirée, il est tourné vers l’extérieur, vers la mer, vers le lointain ; comme lui, il est le séjour habituel des étrangers, et surtout des négocians ; comme lui, il est le berceau des revendications populaires ; comme lui, il est le symbole des principes de nouveauté, de modernité, d’émancipation, d’élargissement, en face de la vieille citadelle, plus exclusive et plus conservatrice ; comme lui, il est, moralement aussi bien que matériellement, la porte ouverte sur le dehors.

Entre le rôle dévolu au port d’Athènes et celui qu’a joué le quartier commerçant de Rome, l’analogie ne saurait être fortuite : elle s’explique parce que, ici comme là, les faits humains sont sous l’étroite dépendance des conditions naturelles. Si l’Aventin n’avait pas été isolé du reste de Rome, il n’aurait pas accueilli comme il l’a fait les marchands étrangers et les dieux exotiques ; et s’il ne les avait pas accueillis, il n’aurait pas aidé aux progrès de la plèbe. C’est ce qui fait l’unité de sa destinée, ce qui rend si curieuse son histoire, telle que M. Merlin nous l’a racontée et que nous venons d’essayer de la résumer. Tout s’y tient : les données géographiques ou géologiques, les faits d’ordre économique, religieux, diplomatique, social, s’y pénètrent intimement, et de cette fusion sort l’originalité de la montagne, on dirait presque sa personnalité historique.


RENE PICHON.