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même temps que la loi sur les élections consulaires qui les intéressait seuls, deux autres lois très importantes pour les gens de basse condition, l’une sur les dettes et l’autre sur les terres, et ils les présentèrent « en bloc, per saturam. Tel est le récit de Tite-Live : sans vouloir en apprécier la stricte exactitude, on peut être sûr qu’il est vrai au moins d’une vérité typique et générale. La situation qu’il nous met sous les yeux, la divergence des buts poursuivis par les plébéiens riches et par les plébéiens pauvres, la tactique employée par les premiers pour atteler les seconds à leur propre ambition, tout cela a dû se répéter bien des fois. Dans cette longue lutte où a péri le pouvoir du patriciat, si la plèbe a vaincu, elle n’a vaincu ni par elle-même ni pour elle-même ; les commerçans l’ont aidée à triompher, l’ont forcée, pour mieux dire, à triompher, parce qu’ils avaient besoin de son triomphe.

Cette façon de se représenter les révolutions intérieures de Rome n’a rien de romanesque. Bien des gens aimeraient mieux voir la démocratie conquérant spontanément ses droits par la seule puissance de son énergie indomptable. Ou bien encore, ce serait un beau geste que celui du sénat, ouvrant toutes grandes les portes de l’orgueilleuse cité, dans une pensée de haute sagesse ou d’humanité généreuse, et y appelant jusqu’aux plus humbles. En face de ces hypothèses touchantes et sublimes, un Rousseau, un Hugo, trouveraient bien plate l’explication que nous venons de résumer, et où de si petits motifs rendent compte d’un changement si grandiose. Qu’importe ? si elle est la plus vraisemblable, si surtout elle nous montre, au lieu d’impossibles héros, des hommes de chair et de sang, mus par les mêmes passions et les mêmes convoitises que nous, esclaves comme nous de l’intérêt matériel et des nécessités ambiantes. Quoi qu’il en soit des rapports entre la classe commerçante et celle des citoyens obscurs et pauvres, que celle-ci ait plus ou moins été l’instrument de celle-là, toujours est-il que c’est sur l’Aventin que la coalition fut formée et scellée ; c’est là que fut livrée et gagnée la bataille décisive. La montagne prit dès lors une réputation de colline plébéienne qu’elle garda toujours, même lorsque les conditions de la vie politique furent transformées, lorsque la lutte ne fut plus entre patriciens et plébéiens, mais entre riches et pauvres. Lorsque Caïus Gracchus prolonge son âpre résistance aux troupes sénatoriales entre les temples