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une raison pour nier qu’il ait existé ? Il a pu être grossi ou dénaturé, plutôt qu’invente de toutes pièces : à nous de chercher ce qu’il a été réellement. Rien, en cette affaire, n’est vrai sous la forme qu’a imaginée la crédulité romaine ; rien n’est peut-être tout à fait faux dans le fond. On ne croit plus qu’Icilius ait appelé sur les pentes Aventines les gens du peuple exaspérés : il est permis de se demander comment l’Aventin a pu aider aux progrès des libertés populaires.

Nous avons vu que ses habitans les plus considérables, les commerçans venus de l’étranger, étaient en dehors de la cité primitive. Les plébéiens y étaient aussi, quoique pour d’autres raisons. Quelle que fût leur origine, — cliens soustraits à la tutelle patronale, ou nobles déchus, ou résidus des populations soumises, ou tout cela ensemble, — ils demeuraient radicalement exclus de la communauté légale et rituelle qui constituait la ville aristocratique du Palatin. À ce point de vue, la parenté ethnique étant comptée pour bien moins que la parenté juridique ou religieuse, il y avait moins loin d’un plébéien romain à un marchand sicilien ou grec que de ce plébéien romain à un patricien romain. Les deux premiers, méprisés tous deux par le troisième, et, à leur tour, mal disposés pour lui, se trouvaient du même coup rapprochés l’un de l’autre. « Avoir les mêmes désirs et les mêmes aversions, disaient les hommes politiques de l’antiquité, voilà la vraie amitié. » Les marchands et les plébéiens devaient avoir la même aversion pour ces grands seigneurs orgueilleux qui les tenaient si dédaigneusement à l’écart, le même désir de conquérir quelques droits, de briser les barrières, d’entrer dans la cité close, et de s’y faire une place. Fustel de Coulanges cite avec raison, comme le germe de mort du régime patricien, le trop grand nombre des gens qu’il condamnait à l’inégalité, ou plutôt à la privation de toute existence légale. « Beaucoup d’hommes, dit-il, avaient intérêt à détruire une organisation sociale qui n’avait pour eux aucun bienfait. » Parmi eux, la classe commerçante et la classe populaire étaient au premier rang. En leur opposant une exclusion opiniâtre, le patriciat, jalousement muré dans son droit héréditaire, les forçait à confondre leurs vœux et leurs rancunes ; lui-même créait l’entente sous les coups de laquelle il devait succomber.

Cette entente, ébauchée sans doute dès l’origine et par la nécessité même des choses, dut se préciser lorsque la loi Icilia