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nobles, rompant brusquement avec eux, sortant en armes de la cité, arrachant bientôt à leurs tyrans l’institution du tribunat, qui doit être leur inexpugnable rempart ; puis, un demi-siècle après, cette conquête annulée ; la foule gémissant sous la lourde oppression des décemvirs ; Appius Claudius poursuivant la jeune plébéienne Virginie de sa cynique convoitise ; le père tuant sa fille pour la soustraire au déshonneur ; mais, du sang de labelle et pure victime, comme jadis de celui de Lucrèce, la révolution sortant triomphante : toutes ces scènes, si vivantes chez Tite-Live, se sont longtemps imposées aux imaginations. Dans toutes, l’Aventin a sa place. C’est là que, par des conciliabules secrets, les plébéiens prennent peu à peu conscience de leur solidarité et de leur force, là que se prépare la première sécession ; et c’est là aussi, — et non sur le mont Sacré, — qu’elle s’accomplit, si l’on en croit la version, non pas la plus répandue, mais la plus ancienne. Et pour la seconde sécession également, les chroniqueurs anciens hésitent entre l’Aventin et le mont Sacré ; beaucoup se tirent d’affaire en admettant que le peuple soulevé a occupé successivement les deux montagnes. En tout cas, l’un des promoteurs de la seconde sécession, le fiancé de la chaste Virginie, Icilius, est, dans la tradition, le même tribun qui a, par sa loi, distribué aux plébéiens les terres Aventines. Il est donc fatal que, dans toutes ces narrations, le nom de l’Aventin soit prononcé : c’est bien la montagne où la foule irritée vient chercher refuge, pour secouer le joug des nobles, puis pour les menacer à son tour et leur dicter ses conditions.

Il y a longtemps que la critique des historiens modernes a ébranlé ces majestueux récits. Le dernier venu, le démolisseur M. Pais, n’en laisse pas subsister pierre sur pierre, pas plus que de toute la période primitive de la république romaine. Mais ces légendes, auxquelles personne ne songea rendre leur autorité perdue, n’en méritent pas moins de retenir l’attention. Si elles ne nous apprennent pas comment les choses se sont passées, — cela est bien clair, — elles nous disent comment les anciens ont cru qu’elles s’étaient passées ; et, dans ce qu’ils ont cru, il est rare qu’il n’y ait pas quelque indication pour nous mettre sur le chemin de la vérité. Toute l’antiquité a été convaincue que l’Aventin avait joué un rôle primordial dans l’affranchissement de la plèbe. Ce rôle, elle se l’est représenté naïvement, d’une façon plus conforme à la poésie, à l’épopée, qu’à l’histoire. Est-ce