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le futur Marché aux bœufs (forum boarium), qu’Enée et ses compagnons mettent pied à terre, après avoir traversé les épaisses forêts qui couvrent les deux rives du Tibre ; c’est là que, s’associant au culte d’Hercule, ils accomplissent, sur le territoire où sera Rome, leur premier acte sacré, avant même d’aller avec Évandre dans la ville du Palatin. Ce débarquement d’Enée est en quelque sorte le prototype de ceux de tous les visiteurs ou marchands, venus comme lui, par la mer et le fleuve, des plus lointaines régions. Et ceux qui sont partis de Brindes ou de Tarente, de Bénévent ou de Capoue, ceux-là, après avoir longé la voie Appienne ou la voie Latine, après avoir salué les fameux tombeaux suburbains, c’est encore l’Aventin qu’ils rencontrent aussitôt qu’ils ont franchi le mur de Servius. Aux uns comme aux autres, à tous ceux qui viennent trafiquer à Rome, — excepté les négocians d’Étrurie, — l’Aventin s’offre dès l’abord, s’impose même.

Mais sa situation topographique n’est pas la seule raison qui en fasse le séjour naturellement désigné des marchands. Ceux-ci, d’après les idées antiques, ne sauraient s’établir à l’intérieur de la cité proprement dite : outre que ses dimensions restreintes se prêteraient mal à l’exercice d’un commerce un tant soit peu étendu, la cité est avant tout une place forte, où ne peuvent entrer des étrangers, et un territoire sacré, qui ne doit pas être foulé par des profanes. Il faut donc que les trafiquans installent leurs comptoirs en dehors de l’enceinte, et là ils n’ont pas beaucoup de choix. De la rive droite du Tibre, il ne peut être question : c’est un quartier excentrique, qui a été longtemps au pouvoir des ennemis étrusques, et où la foule des acheteurs n’irait pas aisément. Le Champ de Mars, au Nord de la ville, est pris par les nécessités de l’organisation militaire ; et d’ailleurs, il est trop loin des routes par lesquelles arrivent la plupart des commerçans : notamment ceux qui ont remonté le Tibre n’aiment pas à franchir la partie du cours du fleuve située en amont du pont Sublicius ; l’île Tibérine les gênerait trop. Le Marché aux bœufs, et la vallée Murcienne qui le continue entre le Palatin et l’Aventin, sont plus près de la mer en même temps que de la voie Appienne, et c’est là en effet qu’ont dû camper tout d’abord les marchands qui venaient approvisionner Rome. Mais, à l’époque primitive, ce ne sont que des bas-fonds humides, insalubres, malcommodes, souvent impraticables : dès que le Tibre déborde, il faut des barques pour passer du Palatin sur l’Aventin.