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Cette défaveur a dû s’atténuer, s’user, comme il arrive en pareil cas, mais lentement. Au début, il a dû être défendu d’aller sur la colline ; puis, on aura pu y aller, mais non y construire ; puis on aura pu y construire, mais dans d’autres conditions que sur les autres hauteurs, etc. Nous pouvons, semble-t-il, saisir la chaîne des raisonnemens qui se sont succédé dans l’esprit des Romains : un volcan est une montagne maudite ; une montagne maudite ne doit pas figurer dans l’enceinte sacrée ; une région que les ancêtres ont bannie de la cité n’y doit pas être introduite. Voilà comment la peur naïve, que les premiers sauvages du Latium éprouvaient devant le rouge panache et les grondemens sourds de l’Aventin, a suscité une prohibition religieuse, et s’est ensuite perpétuée en une défiance instinctive, d’autant plus insurmontable qu’elle était incompréhensible.


II

Aussi impitoyablement maintenu à l’écart de la cité, il semblerait que l’Aventin eût dû être, de ce seul fait, condamné à une infériorité irrémédiable. Or il n’en a rien été ; et, bien au contraire, c’est son isolement même qui lui a permis de jouer un rôle important, si important que nulle des autres hauteurs du Latium, non pas même le Palatin ou le Capitole, ne peut lui être comparée.

Pour comprendre ce rôle, il est nécessaire de se rappeler l’histoire économique des trois ou quatre premiers siècles de Rome. On a beaucoup parlé de la valeur de Rome comme place commerciale : dès l’antiquité, Cicéron louait Romulus d’avoir su choisir un endroit où toutes les productions, soit de l’intérieur, soit des pays d’outre-mer, pouvaient facilement affluer ; et de son côté Mommsen explique, sinon la naissance, tout au moins les premiers progrès de la cité romaine, en disant qu’elle a grandi surtout parce qu’elle était « le marché du Latium. » Cela est très vrai si l’on songe à sa situation topographique ; mais de ce qu’elle était faite pour devenir une ville de commerce, il ne faudrait pas conclure que ses habitans eussent un génie commercial très développé. Ce n’est pas ainsi qu’ils aimaient à se représenter. Lorsque Virgile met en scène leurs ancêtres, les Latins des temps fabuleux, il les dépeint comme une race toute rurale, forte et âpre, sans mélange de finesse ou de souplesse mercantile :