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leur ville, il y a tout à parier qu’une telle répulsion a ses racines dans une croyance religieuse. C’est la survivance d’une très vieille foi, survivance instinctive et illogique, que les hommes acceptent sans y rien comprendre, et qui s’impose si tyranniquement à la masse de la nation que les plus audacieux n’oseraient pas, et, qui sait ? peut-être ne voudraient pas même s’y soustraire. C’est le prolongement, en pleine histoire civilisée, d’un scrupule de primitifs, d’une de ces interdictions rituelles que l’exégèse sociologique contemporaine, celle de M. Frazer, de M. Andrew Lang et de M. Salomon Reinach, appelle des tabous. Le nom est emprunté aux sauvages polynésiens, mais la chose est de tous les pays, de tous les peuples reculés, et même ce mot de tabou correspond exactement au sacer des Latins : il désigne à la fois ce qui est respectable et ce qui est maudit, le respectable et le maudit étant tous deux également prohibés.

Il est donc fort vraisemblable que l’Aventin a dû être, à l’origine, une montagne tabouée. Pourquoi ? il est bien difficile de le savoir, le propre de ces superstitions étant d’être on ne peut plus capricieuses. Peut-être l’aspect physique de la colline est-il pour beaucoup dans la crainte qu’elle inspirait aux premiers habitans. Comparée aux autres hauteurs des bords du Tibre, elle est plus escarpée, plus abrupte ; jusque dans les vers pittoresques de Virgile, on retrouve un écho de l’impression que devaient produire cette masse, qu’Hercule même a peine à entamer, et cette aiguille rocheuse qui la domine, « repaire favori des féroces oiseaux de proie. » Dans la description virgilienne également, on rencontre un détail précieux, qui autorise à penser que les phénomènes volcaniques, communs jadis à toute cette région, ont cessé moins tôt sur l’Aventin qu’ailleurs. Il est bien difficile, — quoiqu’on l’ait quelquefois tenté, — de ne pas voir le symbole d’une éruption dans le mythe de Cacus, fils de Vulcain, dont la bouche gigantesque vomit des torrens de flamme et de fumée. Cacus est, dans le Latium, l’analogue de l’Encelade sicilien, des Cyclopes de Campanie. Or, en tout pays, les montagnes où se produisent des bouleversemens de ce genre sont naturellement parmi les lieux les mieux protégés par l’interdiction religieuse. Il ne serait donc pas extraordinaire que le souvenir de ces convulsions fût la très lointaine origine de la défaveur qui s’est toujours attachée à l’Aventin, et dont nous avons suivi la continuité à travers toute l’histoire romaine.