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même qu’elle n’aime pas à innover, la cité romaine n’aime pas à s’agrandir. Cela semble paradoxal quand on songe à l’extension qu’a prise la domination des Romains, et il ne faut pas aller jusqu’à dire qu’ils ont conquis le monde malgré eux ; mais, quoi qu’il en soit de la conquête, l’assimilation des pays soumis a été bien plus souvent réclamée par les vaincus qu’imposée par les vainqueurs. Latins, Italiens, provinciaux, ont dû supplier, intriguer, se révolter, se battre, pour obtenir le titre de citoyens : le sénat ne le leur a concédé qu’à contre-cœur. C’est sans doute en raison de cet exclusivisme jaloux que Rome a tant tardé à s’incorporer le mont Aventin, pourtant situé à sa porte : elle regardait cette annexion, non comme un gain pour elle, mais comme une faveur pour le quartier jusqu’alors isolé, une de ces faveurs qu’elle n’accordait jamais qu’avec lenteur et comme en rechignant.

Toutefois, cette force d’inertie que l’Etat romain oppose à tout ce qui peut altérer sa nature et élargir ses limites, n’est pas ici une explication suffisante. Elle ne rend pas compte, en effet, de ce qu’il y a d’exceptionnel dans le cas de l’Aventin. Introduire à l’intérieur du pomerium l’Esquilin ou le Cælius, c’était aussi bien innover que d’y enclore l’Aventin ; c’était aussi bien briser les cadres de la Rome primitive : cependant, toutes les autres annexions se sont faites assez tôt et sans peine ; celle de l’Aventin est seule à avoir été aussi laborieuse. Il faut donc qu’outre les raisons générales que nous venons de rappeler, il y en ait d’autres, plus particulières à cette montagne.

Les Romains avaient déjà été frappés de la différence de traitement entre l’Aventin et les autres collines, et ils en avaient cherché la cause. Tantôt ils remontaient, pour l’expliquer, à la légende de Romulus et de Rémus ; tantôt ils prétendaient que l’Aventin avait été maintenu hors de l’enceinte sacrée parce que le gouvernement voulait le punir d’avoir été la place forte des plébéiens révoltés. cette dernière hypothèse, qui a été reprise par plusieurs historiens modernes, forme un cercle vicieux : elle met en jeu des faits postérieurs plutôt qu’antérieurs à l’exclusion initiale de la montagne, qu’il s’agit justement d’expliquer.

Les anciens qui, comme Messala, cherchaient dans la mythologie l’origine du sort spécial assigné à l’Aventin, parlaient au moins d’une idée juste. Quand on constate dans un peuple une répulsion aussi forte, aussi durable, que celle qu’ont eue les Romains à reconnaître cette colline comme faisant partie de