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Il n’est devenu aristocratique que sous les Antonins. Les premiers personnages marquans qui y aient réellement « habité » sont l’Empereur Trajan et son ami Licinius Sura. Mais tous deux sont des Espagnols, bien plus étrangers que les empereurs ou les nobles du siècle précédent aux usages romains. Le goût de l’Empereur réussit facilement à mettre l’Aventin à la mode parmi la haute société, elle-même très mêlée de gens de toute provenance. Cette vogue s’affirme encore sous les Sévères, des étrangers eux aussi. Du coup, la transformation est complète : mais elle a mis du temps à s’accomplir, neuf siècles environ, et surtout elle n’est devenue définitive qu’au moment où la société elle-même s’est profondément modifiée, où elle a eu à sa tête, non plus les héritiers des génies primitives, mais une élite composée de plébéiens enrichis, d’Italiens, de provinciaux, une sorte de noblesse cosmopolite. L’Aventin n’a commencé d’être aristocratique que le jour où l’aristocratie d’autrefois a cessé d’exister. Quant à la vieille cité, purement romaine, rigidement patricienne, celle-là, tant qu’elle a vécu, lui est toujours restée fermée.

D’où vient cette répugnance persistante, presque invincible ? A vrai dire, elle ne doit pas nous surprendre autant que s’il s’agissait d’un Etat moderne. Dans la France ou dans l’Allemagne des derniers siècles, on comprendrait mal qu’un quartier aussi florissant, aussi proche d’une grande capitale, fût demeuré si longtemps avant d’en devenir partie intégrante. Mais, dans le gouvernement et dans le peuple de Rome, il y a certaines tendances générales qu’il ne faut pas perdre de vue. C’en est une, par exemple, que la fidélité à garder le plus possible les traditions implantées, à ne les déraciner que sous la pression d’un besoin impérieux, et, même alors, à en sauver du moins l’apparence ou la forme, comme si l’on voulait se faire illusion à soi-même. Nous sommes, aujourd’hui surtout, d’une humeur tout opposée : nous mettons notre coquetterie à être « modernes ; » quand une chose a existé un certain temps, il nous semble que c’est une raison suffisante pour la remplacer par son contraire. Mais à Rome, avoir duré est un titre pour durer encore ; le mos majorum est le grand argument, et les épithètes de « vieux » ou d’ « antique » sont les plus beaux éloges. Il est donc possible que l’Aventin ait continué d’être tenu hors de la cité, en partie parce qu’il l’avait été tout d’abord, que ce qui avait été simple hasard au début se soit solidifié en tradition souveraine. De