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homme à l’esprit aventureux. Il ne se contente pas d’accepter volontiers les nouveautés, comme César, encore moins de biaiser avec elles, comme Auguste : il les aime pour elles-mêmes. C’est plus qu’un réformateur, c’est un révolutionnaire, et voilà ce qui fait que l’histoire classique, qui a été écrite par des aristocrates, lui a créé une telle réputation d’imbécile. Quel coup d’Etat n’a-t-il pas fait, et quel scandale n’a-t-il pas provoqué, en ouvrant les portes du sénat aux notables de province ! Les grands seigneurs le traitaient de barbare, de « franc Gaulois, » qui gouvernait Rome comme une ville conquise. L’annexion de l’Aventin au territoire pomérial a beaucoup moins d’importance que l’introduction des provinciaux dans la curie, mais elle procède de la même tendance. De part et d’autre, ce sont les maximes les plus révérées qui sont mises en oubli ; ce sont les vieilles limites qui craquent : la cité patricienne, si jalousement fermée, se fait accueillante pour laisser pénétrer les élémens nouveaux, populaires ou étrangers ; l’impérieuse hégémonie qui se fondait sur le triple prestige de la race, des lieux et du culte, s’écroule désormais. La mesure relative à l’Aventin est un signe, entre beaucoup d’autres, de ce changement radical, et il ne faut pas douter qu’elle n’ait été très amèrement critiquée par la noblesse romaine.

On se tromperait en effet si l’on croyait que, même après la décision de Claude, l’Aventin a été adopté franchement par les grandes familles. M. Merlin nous dit bien qu’il devient « un quartier aristocratique, » mais il avoue que « ce mouvement est encore peu sensible au premier siècle après Jésus-Christ. » Et de fait, ceux des hauts personnages qui ont été, à cette époque, propriétaires de terrains dans la région Aventine, semblent n’y avoir guère possédé que des villas de plaisance, des parcs comme les « jardins de Pollion » et les « jardins de Servilius, » en un mot, des domaines ruraux plutôt que de vraies maisons. Un tel choix s’explique aisément par la beauté des panoramas que l’on découvre du sommet de l’Aventin : la vallée du Tibre, les croupes du Palatin et du Cælius, l’arrière-plan des hauteurs de la Sabine, et, au Sud, la plaine qui s’étend jusqu’à la barrière abrupte des monts Albains. Les riches Romains aimaient ces « longues perspectives de campagne » dont parle Horace : laudaturque domus longos quæ prospicit agros ; il est naturel qu’ils soient allés les chercher dans le quartier de l’Aventin, sans pourtant en faire autre chose, tout d’abord, qu’un lieu de villégiature.