Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme l’organisation de l’armée, le système de fortifications change de nature ; il « se laïcise, » si l’on peut risquer cet anachronisme ; il n’est plus soumis aux vieux rites : c’est ce qui fait que l’Aventin peut y être compris. Mais, au fond, rien n’est changé aux conditions antérieures. L’enceinte militaire et l’enceinte sacrée ou légale demeurent tout à fait distinctes, et c’est dans la première seulement que l’Aventin est compris. Il n’a pas été arraché à son isolement par les innovations pseudo-serviennes, quelque hardies qu’elles aient pu être : il est admis dans Rome, place forte ; il reste à la porte de Rome, cité.

Voici qui est peut-être plus significatif encore. Quelque opinion que l’on adopte sur la légende de Servius Tullius, la construction du mur connu sous son nom ne peut guère être placée à une date plus récente que le commencement du IVe siècle avant notre ère. Mais franchissons trois cents ans, trois cent cinquante ans ; arrivons à la fin de l’époque républicaine : pendant cette longue durée, le temps a pu faire son œuvre ; bien des souvenirs ont pu s’oblitérer, bien des préjugés s’évanouir ; les conditions matérielles de la ville, les rapports entre ses diverses parties, ont subi des modifications profondes. Or, à ce moment, nous trouvons deux extensions du pomerium, décrétées l’une par Sylla et l’autre par César : et ni l’une ni l’autre n’ont incorporé l’Aventin à la cité. Encore, de la part de Sylla, cette omission n’est-elle pas trop étonnante : aristocrate, il ne peut pas aimer beaucoup cette montagne qui a été si souvent la forteresse de la plèbe, et qui reste encore son principal centre ; en outre, conservateur, réactionnaire même, il tient trop à ressusciter le plus de vieilles choses possible pour être disposé à rompre, sur ce point, avec une habitude séculaire. Mais aucun de ces motifs ne vaut pour César, ou plutôt, ils devraient ici agir en sens inverse. César s’appuie sur le peuple : pourquoi ne prend-il pas à cœur d’effacer l’injure jadis infligée à la colline éminemment populaire ? Il est plus porté à réformer qu’à conserver ou à restaurer : pourquoi hésite-t-il devant cette innovation ? C’est pourtant un esprit libéré de toute superstition comme de toute routine : il brave la défaveur depuis tant de siècles attachée au titre royal ; il méprise les avertissemens de la divination ; il se moque, en plein sénat, des fables qu’on raconte sur les enfers ; c’est, en toutes choses, un des hommes sur qui le joug du passé pèse le moins lourdement. Il n’en est que plus frappant de le voir s’arrêter sans