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en viennent sans cesse aux mains ; — antithèse, surtout, entre les deux jumeaux fils de Mars qui se disputent l’honneur de nommer et de fonder la ville naissante : Rémus va prendre les auspices sur l’Aventin, Romulus sur le Palatin, et cette fois la rivalité s’achève dans le meurtre du vaincu. Ces vieilles fables, que les petits écoliers de Rome apprenaient jadis, qui, même chez nous, furent longtemps célèbres dans les collèges, suggèrent invinciblement l’idée d’une hostilité radicale, perpétuelle, souvent sanglante.

Quand et comment se sont-elles formées ? M. Merlin incline à leur assigner une date relativement moderne : suivant lui, elles auraient été « créées et vulgarisées » dans les derniers siècles de la République. Vulgarisées ? oui, sans doute, et plutôt encore fixées, classées, systématisées, par les compilateurs qui ont mis, à faire de la prétendue histoire avec ces antiques légendes, leur application puérilement pédantesque. Mais « créées, » nous en doutons un peu. Pour M. Merlin, elles auraient eu comme but de projeter dans le passé l’antagonisme qui existait alors entre plébéiens et patriciens, et, en rattachant chacune des deux factions à une très vieille et très illustre origine, de leur donner en quelque sorte des titres de noblesse. Que les passions des partis se soient emparées de ces traditions, c’est fort possible ; mais, avant d’être ainsi exploitées, elles ont dû traverser une phase mystérieuse, où elles avaient un caractère plus religieux que politique, où elles étaient plus voisines de la croyance naïve et spontanée que de la fiction fabriquée intentionnellement. Avant d’être le prototype de la plèbe, par exemple, Rémus a été simplement un dieu éponyme et local, le dieu de l’Aventin, adoré par une tribu latine dont il était le père mystique.

Au surplus, pour nous en tenir à ce mythe si connu de Rémus et de Romulus, aucune des deux données qu’il contient, ni celle de leur association fraternelle, ni celle de leur inimitié, n’a rien qui doive surprendre. Bien des villes autres que Rome reconnaissaient comme fondateurs deux « héros » frères ou jumeaux ; Dardanus et Iasius à Troie, Amphion et Zéthos à Thèbes, formaient des couples pieusement vénérés, non sans analogie peut-être avec les deux Pénates romains. — Souvent aussi, chose plus singulière, les deux fondateurs divins étaient, non plus unis, mais opposés ; une lutte éclatait, un d’eux y mourait, comme si la ville nouvelle eût dû nécessairement être