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des recherches comme celles qu’a tentées M. Merlin, comme celles encore de M. Desnier sur l’île Tibérine. C’est en juxtaposant des monographies de ce genre qu’on pourra ressaisir la vie réelle du monde latin, somme de ces vies locales. M. Merlin a d’ailleurs apporté à l’exécution de son projet une rare conscience : ceux mêmes qui ne partagent pas toutes ses opinions ne sauraient méconnaître l’étendue et la sûreté de son information. Nous voudrions ici, sans le suivre dans toutes les discussions chronologiques ou archéologiques dont son livre est rempli, dégager les résultats essentiels auxquels il est parvenu ; et, en résumant ses observations, en les complétant au besoin, faire ressortir le ‘rapport intime qu’il y a entre les lieux et les choses, rappeler les grands faits religieux, économiques, politiques, qui se groupent autour de la colline Aventine, retracer rapidement, en un mot, son histoire dans la société romaine.


I

La première remarque qui s’impose, — et elle ne laisse pas d’être assez curieuse, — c’est que cette montagne, qui a joué dans l’évolution de la cité un rôle si considérable, ne faisait pas, à vrai dire, partie de la cité. Tout au moins n’y est-elle entrée que fort tard, et l’on peut dire sans paradoxe que l’époque où elle exerça une action véritable est celle où elle était en dehors de la ville. D’ailleurs, le souvenir de la séparation primitive ne s’effaça jamais complètement : l’Aventin resta, aux yeux des anciens, une cité en face de la cité, « une autre ville, » pour parler comme Denys d’Halicarnasse ; à aucun moment, il n’arriva à perdre tout à fait ce caractère original, j’allais dire excentrique.

La légende et l’histoire sont d’accord, celle-ci pour attester par maint détail, celle-là pour traduire symboliquement l’opposition foncière entre l’Aventin et la vraie cité romaine. Parmi ces légendes relatives aux premiers temps de la ville qui ont été colligées par les érudits, chantées par les poètes, popularisées par Tite-Live, combien ne sont que l’expression voilée de l’antique dualité ! Antithèse, d’abord, entre Evandre et Cacus, — deux figures simplifiées et tranchées comme dans les contes enfantins, — le bon vieux roi du Palatin et le méchant brigand de l’Aventin ; — antithèse entre les bergers d’Amulius et ceux de Numitor qui, postés respectivement sur les deux montagnes,