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latine, le berceau des conquêtes démocratiques et, pour parler comme Michelet, « la montagne plébéienne » par excellence.

Cette vue n’est point fausse, à coup sûr : elle est seulement d’une vérité un peu trop sommaire, insuffisamment nuancée. Jusqu’à quel point l’Aventin a-t-il eu ce caractère populaire ? l’a-t-il toujours conservé ? et surtout, pourquoi ou comment l’a-t-il pris ? le doit-il au pur hasard, ou à la volonté humaine, ou au jeu régulier des causes naturelles ? Ce sont là les questions qui se posent dès que l’on veut porter quelque précision scientifique dans la conception traditionnelle, trop absolue et trop simple.

À ces questions, il n’est peut-être pas impossible de répondre, en s’aidant de l’excellent ouvrage qu’a récemment publié, sur l’Aventin dans l’antiquité, un de nos plus distingués archéologues et épigraphistes, M. Alfred Merlin. — Le choix d’un tel sujet, indépendamment des résultats auxquels M. Merlin est arrivé, révélait déjà par lui-même une très sage méthode. Si dans notre France moderne, tout unie et centralisée qu’elle paraît être, les diversités locales subsistent encore indestructibles, si l’évolution varie d’une contrée à une autre contrée, d’une ville à une autre ville, je dirais presque d’un quartier à un autre quartier, si l’histoire de la Cité ne se confond pas avec celle de la Montagne-Sainte-Geneviève, combien cela n’est-il pas plus vrai de l’antiquité ! Les anciens, en général, étaient fixés au sol natal par des attaches plus solides que les nôtres : les communications étaient plus rares, et peut-être aussi la curiosité moins aventureuse ; la famille, plus fortement organisée, les retenait davantage à courte distance du foyer. Dans cette vaste confédération qu’est l’Empire romain, par exemple, non seulement chaque province conservait sa physionomie intellectuelle et morale, non seulement chaque cité maintenait avec une piété obstinée le dépôt intact de ses traditions, de ses lois et de ses rites, mais chaque portion de ville vivait d’une existence propre. Un quartier romain était un petit Etat : un commun trésor de souvenirs mythiques et historiques, une longue cohabitation, une constante solidarité d’intérêts, créaient, entre les familles qui le peuplaient, un réel patriotisme ; et, d’ailleurs, légalement, ne possédait-il pas ses magistrats, ses assemblées, ses autels ? — Voilà ce qui rend nécessaire d’observer de très près, et isolément, les diverses parties, et, si je puis dire, les diverses cellules du grand organisme romain ; et voilà ce qui donne tant de prix à