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son père, que les renseignemens parvenus au ministère ne lui permettaient pas de délivrer l’acte authentique qui lui était réclamé.

D’après lady Stanhope, le voyageur El-Hadj Ali aurait été empoisonné par un paquet de rhubarbe. Pour ne rien ajouter ni rien retrancher à cette version, il est préférable de citer la conversation textuelle qu’eut sur ce sujet le vicomte de Marcellus avec celle qu’on appelait la reine de Tadmor.


— Que n’avez-vous pu, lui demanda M. de Marcellus, porter vos secours au malheureux voyageur Ali Bey ?

Lady Stanhope s’émut à ce nom.

— Vous renouvelez, dit-elle, toute ma douleur. Pauvre Ali ! Combien l’ai-je regretté ! Mais soyez franc, ajouta-t-elle après un moment de silence, avez-vous ordre de me parler d’Ali Bey ?

— J’ai l’honneur de vous répéter, milady, que ma visite auprès de vous est entièrement désintéressée, et ce n’est point un article de mes instructions. Mes questions relatives à Ali Bey, que j’ai connu, viennent d’un homme qui s’intéressait vivement au résultat de sa dernière expédition.

— Eh bien ! monsieur, reprit lady Stanhope, je crois que Dieu vous envoie pour me délivrer d’une véritable peine et je me confle entièrement à vous. J’ai une lettre qu’Ali Bey m’écrivit peu d’heures avant de mourir. J’ai aussi un paquet de rhubarbe empoisonnée à laquelle il croit devoir sa mort. Il a voulu que ces deux objets fussent envoyés au ministre de la Marine en Finance. Jusqu’ici je n’ai osé les confier à personne. Promettez-moi que vous les remettrez à lui-même, quelle que soit l’époque de votre retour à Paris, et les dernières volontés du voyageur seront ainsi accomplies.


« Ma première pensée en apprenant sa mort, dit-elle au vicomte de Marcellus, fut de croire à quelque vengeance des musulmans. Dans son premier voyage publié à Paris, il avait dévoilé les mystères de La Mecque et décrit en détail le tombeau de Mahomet qu’il avait été admis à vénérer sous ses habits orientaux. On avait pu chercher à punir une telle indiscrétion, mais je sus bientôt qu’il n’en était rien, et lui-même attribue sa mort à d’autres causes. » S’il faut en croire lady Stanhope, Ali Bey aurait été « victime du poison et de la jalousie des Européens, » et par ce dernier mot elle entendait désigner les Anglais.

A côté de cette version émanant d’une femme qui avait pris ses compatriotes en horreur et qui était portée, par son imagination, à accueillir toute nouvelle tragique, il faut placer le témoignage du P. Francisco Vilardell, supérieur des Franciscains espagnols à Damas, et qui vit Ali Bey en août 1818. D’après ce religieux, la santé du voyageur était alors tellement