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les instrumens et les papiers du défunt et reprirent avec la caravane le chemin de La Mecque.

La nouvelle de la mort de Badia fut portée à la connaissance du comte Molé par une dépêche de M. Regnault, notre consul à Tripoli, en date du 9 novembre 1818. Le ministre prescrivit de faire toutes les démarches nécessaires pour recouvrer les papiers et les instrumens du voyageur. Ce fut sans succès. « Ceux qui détiennent ces objets et ces papiers, écrit le consul, pensent qu’il n’appartient pas à un chrétien de réclamer la succession d’un musulman. » Quant à faire intervenir l’ambassade, le consul ajoutait fort sagement : « Celle-ci hésitera peut-être à faire connaître au gouvernement turc l’intérêt que peut prendre le gouvernement français au pèlerinage à La Mecque d’un musulman du Maroc[1]. »

En France, le gouvernement tint cachée la mort de Badia le plus longtemps possible, et la nouvelle ne s’en ébruita que très lentement. Dix ans après, il se trouvait encore beaucoup de personnes pour la révoquer en doute. On prétendait que « le voyageur arabe » avait lui-même fait répandre ce bruit dans l’intérêt de sa mission, et cette opinion était vraisemblable pour qui connaissait ses feintes et son continuel besoin de mystifier. Les parens de Badia étaient eux-mêmes dans le doute sur son sort, car le voyageur, ayant annoncé qu’il s’engageait dans le désert, et qu’il ne pourrait de longtemps ni écrire, ni recevoir des lettres, ils ne s’inquiétaient pas de son silence. Le 24 août 1820, le lieutenant d’artillerie Pierre Badia ignorait encore la mort de son père, et, écrivant de sa garnison de La Fère au général Evain pour solliciter l’autorisation de passer son congé à Paris, il terminait ainsi sa lettre : « Daignez, mon général, avoir égard dans l’occasion à un ardent militaire dont le père sacrifie sa vie dans une mission périlleuse entreprise pour le service du Roi. » Le général, transmettant cette demande au ministre, ajoutait : « On est depuis longtemps sans nouvelles de son père voyageant à l’étranger pour le compte du gouvernement. » Le 26 décembre 1829, le baron d’Haussez, ministre de la Marine, répondait à ce même lieutenant Badia, qui lui demandait un acte de décès de

  1. Il semble cependant que le consul ne fit pas en cette occasion preuve d’un grand zèle, car divers objets ayant appartenu à Badia furent rachetés par lady Stanhope et d’autres par le P. Francisco Vilardell, supérieur du couvent des Franciscains espagnols à Damas