Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministre, le priait de lui dire un mot « du voyageur arabe » dans une prochaine dépêche.

De Constantinople, Badia gagna Tripoli où il arriva le 9 juin. Après un court séjour dans cette ville, il partit pour Damas où se concentrait la caravane de La Mecque avec laquelle il comptait accomplir son second pèlerinage. Ce fut pendant son séjour à Damas qu’il alla voir une femme dont la vie étrange avait plus d’une analogie avec l’existence qu’il avait menée lui-même au cours de ses précédens voyages et qu’il s’apprêtait à recommencer. Lady Hester Lucy Stanhope, la nièce de Pitt, pour des motifs restés mystérieux, s’était expatriée en 1810 et était venue se fixer en Syrie. Eprise de domination, de solitude et d’indépendance, exaltée jusqu’à la déraison, elle avait fui la société des chrétiens et ne fréquentait que les musulmans dont elle était vénérée. Avec de l’or habilement distribué, elle avait amené à ses pieds Turcs, Druses et Arabes. Ayant renoncé aux vêtemens de son sexe, elle était coiffée d’un turban, portait un large pantalon et une tunique à manches ouvertes et flottantes ; un yatagan était pendu à sa ceinture ; elle parlait correctement l’arabe et s’était fait instruire du Coran. La religion qu’elle s’était composée était un mélange confus de christianisme, d’islamisme et de judaïsme. Au commencement de l’année 1818, elle était venue habiter le village de Djouni dans un des sites les plus sauvages et les plus inaccessibles du Liban. Retirée dans ce nid d’aigle, préservée de la curiosité importune des Européens, elle donnait carrière à ses goûts d’autorité, ayant un bourreau à ses gages et faisant empaler sur deux énormes pieux plantés devant sa porte ceux qu’elle condamnait au dernier supplice. La Porte, prétendait-on, avait secrètement reconnu son pouvoir. Si une entrevue dut être piquante, ce fut assurément celle de Domingo Badia avec lady Hester Stanhope, tous deux transfuges de la civilisation, épris de la vie aventureuse et plus ou moins sectateurs de l’islam. Malheureusement, les détails manquent sur la rencontre des deux augures, et il serait puéril de restituer d’imagination la scène qui dut se passer entre eux. Les lettres de Badia, fort rares pour cette époque, ne font aucune mention de ses visites à lady Hester Stanhope, et nous les connaissons seulement par les Souvenirs d’Orient du vicomte de Marcellus.

D’après cet auteur, Badia aurait confié à lady Stanhope qu’il