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écrivit de nouveau au duc de Richelieu ; il exposait ce qu’il y avait de chimérique dans ce projet ainsi que dans celui de l’amiral Sydney Smith qui s’était fait, au Congrès de Vienne, le protagoniste d’une croisade européenne contre la piraterie ; il insistait sur l’adoption de son plan « qui donnerait à la France les riches colonies africaines des Grecs, des Romains et des Goths, sans qu’il en coûtât une goutte de sang français. »

Un deuil prévu, et qui paraît avoir été léger, vint momentanément donner un autre cours à ses idées : le vieux Claude Izouard mourut le 23 septembre 1816, et Badia en profita pour s’installer à l’hôtel de Lorges, avec la mission facile de consoler celle qu’il appelait familièrement « la petite veuve. » Les 36 000 volumes formant la bibliothèque de Claude Izouard n’avaient pas trouvé d’acquéreur, malgré la réclame faite par celui-ci dans les dernières années de sa vie. Badia, enclin à l’exagération et majorant le prix attribué par son gendre à cette bibliothèque, y voyait déjà une grosse fortune. C’était d’ailleurs la seule laissée par le défunt, et il devenait d’autant plus urgent de la réaliser que la gêne commençait à se faire sentir dans la famille. Les démarches faites pour arriver à se défaire avantageusement de la bibliothèque d’Izouard occupèrent près d’un an l’activité de Badia. Il était lié avec Barbier, le bibliothécaire du Roi, et il espérait la lui faire acheter 100 000 francs. « Une somme de 20 000 francs en plus ou en moins, lui écrivait-il le 17 juin 1817, n’est rien aux yeux d’un prince et elle est tout pour l’existence d’une pauvre veuve... » La négociation n’aboutit pas.

Force fut à Badia dénué de ressources de s’adresser au duc de Richelieu pour obtenir une pension. Sa lettre étant restée sans réponse comme les précédentes, il renouvela sa demande (juillet 1817), s’étonnant qu’on n’eût pas examiné son projet de colonisation africaine. Faisant allusion à des services plus ou moins imaginaires qu’il aurait rendus à la France dans ses précédens voyages, il se plaignait avec amertume. « Ma famille, écrivait-il, vit dans la misère, pendant que l’État et le commerce de France jouissent journellement des millions qui sont le fruit de mes travaux et de mes services. »