Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était circoncis ; le peuple le croyait juif ou musulman ; enfin cet afrancesado passait pour un franc-maçon et un impie. Mal secondé par la force armée, en butte à l’hostilité populaire, Domingo Badia rencontra de grandes difficultés dans l’accomplissement de ses fonctions, dont la principale était alors la concentration des approvisionnemens nécessaires aux troupes françaises. « J’espère, écrit-il néanmoins à Champagny le 20 décembre 1809, vous servir à quelque chose comme intendant de la province de Ségovie, mais je désirerais pouvoir le faire avec plus d’énergie et plus de moyens. »

Cependant le général baron Digeon, gouverneur civil et militaire de Cordoue et de Jaen, appréciant le zèle et l’intelligence de l’intendant de Ségovie, le fit désigner, le 5 avril 1810, pour la préfecture de Cordoue. Badia occupa un peu plus d’un an ce nouveau poste, après quoi il fut rappelé à Madrid par le ministère qui, resté de fait hostile au nouveau régime, voyait d’un mauvais œil ce fonctionnaire ayant des attaches et des protecteurs français. Mis en disgrâce et même « fort maltraité, » il prit le parti de se retirer en France. Le général Digeon, le regardant comme l’homme le plus capable de donner à l’Empereur des notions exactes sur la situation si troublée de l’Espagne, l’accrédita auprès de Daru par la lettre suivante :


Cordoue, 14 juin 1811.

Monsieur le comte,

Permettez que j’aie l’honneur de recommander à Votre Excellence M. Badia Leiblic, ancien préfet de Cordoue. Quoiqu’il n’ait cessé de donner des preuves de son zèle et de son dévouement au service de l’armée, qu’il ait toujours montré le plus grand dévouement à Sa Majesté l’Empereur et au service de Sa Majesté Catholique, le ministère espagnol et ses ennemis ne lui ont point tenu compte de ses services, et on lui a ôté sa place dans le moment où il y était le plus nécessaire. Je crains même que son crime ne soit d’avoir trop bien servi l’armée et d’être dévoué h. notre cause.

Il a l’honneur d’être connu personnellement de Sa Majesté l’Empereur ; il fut chargé d’une mission diplomatique de la plus haute importance dont il rendit compte en son temps ; elle intéressait essentiellement Sa Majesté, et M. Badia, quoique Espagnol de naissance, était chargé d’une opération dont il rendait compte au ministère des Affaires extérieures qu’occupait alors le prince de Bénévent[1].

Si quelqu’un peut donner des notions exactes sur la situation des affaires civiles et politiques en Espagne, c’est M. Badia.

  1. Talleyrand avait recommandé, en 1803, le pseudo-Ali Bey à notre consul à Tanger, ignorant la mission politique confiée au voyageur par Godoy.