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à toutes les révolutions de palais, aux bouleversemens les plus étranges, avait peine à croire à la réalité des événemens qu’il apprenait ou qui se déroulaient devant lui. Sur le conseil de Charles IV, son ex-souverain, il avait sollicité une audience de Napoléon, avec l’espoir de faire accepter ses offres de service pour le Maroc ; mais l’Empereur les déclina, estimant sans doute un peu compromettante l’audace de cet homme qui se disait plus maître du Maroc que le chérif régnant. Il se contenta de l’envoyer à son frère Joseph.

Ali Bey, redevenu Domingo Badia, cherchait vainement à qui s’adresser pour obtenir une récompense de ses services. Si on pouvait discuter la portée politique de sa mission, les résultats scientifiques de ses voyages étaient incontestables. Mais l’Espagne était trop bouleversée par les émeutes et l’occupation française pour faire attention à un homme dont elle eût acclamé le retour en des temps plus calmes. Le prince de la Paix, son puissant protecteur, avait sombré le premier dans la tourmente et Badia, loin de pouvoir se réclamer de lui, devait cacher ses anciennes relations avec le favori et son entourage. Où trouver d’ailleurs l’apparence d’un pouvoir régulier en Espagne en dehors du gouvernement que Napoléon venait d’improviser de toutes pièces à Bayonne et qui, escorté par la brigade du général Rey, s’acheminait vers Madrid ? C’est à lui que se rallia Domingo Badia ; il arriva à Madrid le 21 juillet 1808, précédant de quelques jours le roi Joseph, le ministère et la junte officielle. Perdu dans cette cour cosmopolite composée en majeure partie d’Italiens et de Français, il se sentait sans appui. Cependant, à Bayonne, Champagny s’était intéressé au voyageur et à ses travaux ; il lui avait écrit à la date du 9 juillet la lettre suivante :


Aussitôt, monsieur, que les affaires qui vous appellent à Madrid seront terminées, vous pourrez vous rendre à Paris ; il sera pourvu aux frais de votre route. Vous apporterez avec vous vos manuscrits et tous vos matériaux, et vous dirigerez à votre gré la traduction et l’impression de votre ouvrage. Tout ce que j’en ai vu me fait croire que la publication en sera utile, et je verrai avec plaisir, monsieur, que vous puissiez recueillir d’une manière honorable pour vous le fruit de vos travaux et de vos recherches.


Il était dur à l’orgueil de Domingo Badia qui, au Maroc, soulevait sur son passage l’enthousiasme des populations, de passer inaperçu, ignoré dans sa propre patrie. Aussi, avant de recourir aux bons offices de Champagny, voulut-il tenter de se