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la superatmosphère, ne sont-ce pas là de véritables ballons libres, dont nous pouvons, sinon diriger la roule, du moins régler la chute au bout d’un intervalle de temps bien déterminé ?

Nous ne voyons pas de longtemps nos aéroplanes nous donner de pareilles satisfactions. Leur demander de s’élever à 26 000 mètres, à 10 000, à 6 000, n’y songeons pas. Alors que le vaillant Spelterini vient de sauter par-dessus le Mont-Blanc (8 août), en passant au-dessus des aiguilles Dru et Verte, à 5 600 mètres d’altitude, — il a déjà sauté, en 1898, par-dessus les Diablerets ; en 1900, par-dessus les Alpes Centrales et le Glœrnischkett ; en 1903, par-dessus le massif qui sépare Zermatt de l’Italie ; en 1904, par-dessus l’Eiger et la Jungfrau ; en 1907, par-dessus le Saint-Gothard ; en 1908, par-dessus le Mont-Rose,, — aucun aéroplane, avec les moteurs dont ils sont dotés, ne pourrait arriver à 1 800 mètres. Le moteur de l’Antoinette VII, qui est de 50 (50 HP), devrait en fournir 70 pour aspirer à une telle altitude. On nous objectera qu’avec un simple monocylindre de 9 HP, M. Fawcett, le 7 août, a pu ‘atteindre la mer de Glace, à 2 000 mètres d’altitude. Mais le sol était là pour supporter la voiture. L’aérostation proprement dite reste donc, et restera toujours, quels que soient les caprices de la mode, un sport, le plus passionnant des sports, sinon le plus utile. Ajoutons que ce mode de voyager est encore un art et même une science qui a ses maîtres, comme elle a eu ses martyrs, et que Spelterini est un de ces maîtres. E. Gautier, qui eut la chance d’être une fois son compagnon de route, l’a vu viser, du haut des nuages, la bonne place pour atterrir, place à peine perceptible pour un œil profane, et y tomber instantanément tout droit, comme une pierre ; « aucun choc, cependant, n’est à craindre. Même par les plus fortes rafales, il s’arrange pour ralentir méthodiquement la chute, au moment psychologique, de telle sorte que la nacelle, après avoir deux ou trois fois effleuré le sol et, telle une balle élastique, rebondit légèrement, se pose et ne bouge plus. C’est fait avec une telle précision, une telle maestria, que les passagers, qui s’étaient suspendus aux cordages à la force du poignet, afin d’amortir la secousse redoutée, ont peine à comprendre que c’est fini et hésitent encore, alors qu’il ne reste plus qu’à dégonfler et à empaqueter le ballon, à reprendre pied sur terre pour se diriger, hélas ! vers la gare la plus proche. »