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pagres d’un auteur favori, celles, par exemple, qu’a inspirées à Guy de Maupassant un de ses voyages nocturnes en ballon.


La terre n’est plus, la terre est noyée sous des vapeurs laiteuses qui ressemblent à une mer. Nous sommes seuls maintenant avec la lune, dans l’immensité, et la lune a l’air d’un ballon qui voyage en face de nous ; et notre ballon qui reluit a l’air d’une l’une plus grosse que l’autre, d’un monde errant au milieu du ciel, au milieu des astres, dans l’étendue infinie. Nous ne parlons plus, nous ne vivons plus, nous ne pensons plus ; nous allons délicieusement inertes, à travers l’espace. L’air qui nous porte a fait de nous des êtres qui lui ressemblent, des êtres muets, joyeux et fous, grisés par cette envolée prodigieuse, étrangement alertes, bien qu’immobiles. On ne sent plus la chair, on ne sent plus palpiter le cœur, on est devenu quelque chose d’inexprimable, des oiseaux qui n’ont pas même la peine de battre de l’aile.

Tout souvenir a disparu de nos âmes, tout souci a quitté nos pensées, nous n’avons plus de regrets, de projets ni d’espérances. Nous regardons, nous sentons, nous jouissons éperdument de ce voyage fantastique ; rien que la lune et nous dans le ciel ! Nous sommes un monde vagabond, un monde en marche comme nos sœurs les planètes, et ce petit monde porte des hommes qui ont quitté la terre et l’ont déjà presque oubliée.

Le silence est presque absolu, solennel. Il n’est troublé que par le faible souffle d’une locomotive, par les aboiemens affaiblis de quelques chiens qui sentent qu’il y a quelque chose d’anormal dans le système général des choses, et par le tic-tac discordant des mouvemens des chronomètres de nos enregistreurs.

Nous avons presque froid, car la température est basse et nous sommes immobiles ; nous ne nous plaignons point ; nous ne désirons point que le temps aille plus vite ; nous craignons même que le terme de notre voyage n’arrive trop tôt.


Nos lecteurs trouveraient-ils que cette réhabilitation du ballon sphérique est insuffisante ?

Sans vouloir nous étendre sur les services si nombreux qu’ils ont rendus à la guerre, depuis le siège de Maubeuge jusqu’à la bataille de Moukden, nous leur rappellerons les ascensions célèbres, depuis celles de Gay-Lussac jusqu’à celles du docteur Berson qui, le 31 juillet 1901, a pu atteindre, avec un de ces appareils, l’altitude de 10 500 mètres. Et les ballons-sondes, véritables observatoires volans, où des appareils enregistreurs et la plaque photographique remplacent la science et l’œil de l’homme, dont l’un, appartenant au service météorologique de la Belgique, a pu atteindre l’altitude vertigineuse de 26 000 mètres, ces ballons-sondes, qui nous ont révélé, au moins en partie, le mystère de