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l’essor d’un ballon, mieux que l’envolée d’un dirigeable ou d’un aéroplane, saisira toujours l’esprit du plus savant comme du plus ignorant. Cette ascension directe, rapide, sans limites, l’altitudine, qui n’a pas, mais semble avoir pour but les régions inconnues de l’éther, aura toujours l’attrait mystérieux d’une vigoureuse protestation contre la tyrannie de la pesanteur qui semblait river à jamais l’humanité à la surface de la planète.

Nous ne voyons pas les aéroplanes inspirer jamais des sensations pareilles. Leur vol n’a rien de séduisant. Comme le dit très bien un de nos écrivains les plus connus, ils feront fuir les oiseaux du ciel, effrayés par ces faux oiseaux créés par l’homme, d’autant plus qu’il se trouvera bien un certain nombre de gens qui, non contens de les détruire sur terre, iront encore les pourchasser dans leur propre élément. Dans quarante ans, ajoute-t-il, le monde sera d’avenu ennuyeux comme une petite ville française au XIXe siècle. La joie de rêver, d’imaginer qu’on pourrait être ailleurs, où l’on n’ira jamais, où l’on serait plus heureux, où les paysages seraient plus beaux, sera évanouie. Pouvant facilement, en quelques heures, passer des banquises du Pôle dans les mers lumineuses du Sud, des sphinx d’Egypte aux cataractes du Niagara, dès l’âge de l’adolescence, on sera dégoûté de tout, ayant tout vu. Eh bien ! à ce moment, il y aura encore, heureusement, pour nous distraire et nous reposer, le ballon sphérique, le ballon libre ! Nous étions sur une place, incommodés par le bruit, la chaleur, la poussière, ahuris par le fracas des véhicules de toute sorte, terrestres ou aériens, se croisant en tous sens devant nous ou au-dessus de nos têtes, ne songeant qu’à nous garer des uns et des autres, et, en quelques minutes, nous pourrons, grâce au ballon libre, échapper au brouhaha des foules, des véhicules, des moteurs, à la fumée, aux mauvaises odeurs, et admirer, à notre aise, les merveilles que, pendant le jour, nous offre l’atmosphère : mirages inattendus, couronnes irisées, arcs-en-ciel éblouissans, — le mot est impropre car, à une certaine hauteur, l’arc se ferme sur lui-même et se transforme en cercle, — l’immense mer des nuages, plus imposante, plus variée d’aspect que l’Océan. Et la nuit, emportés dans l’espace sans secousses, sans oscillations, sans vibrations, sans que le moindre souffle de ‘vent nous vienne désagréablement fouetter le visage, nous pourrons nous abandonner aux plus délicieuses rêveries, ou encore, à la lueur d’une lampe électrique, relire quelques