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de Saunier et E. Gautier, peut-être ; c’est tout. Un certain courage eut été nécessaire, au lendemain de la triomphale chevauchée de L. Blériot, — chevauchée, ce nous semble, est le mot propre, pour une foule de raisons que nos lecteurs nous permettront d’énumérer, — pour prendre la défense de l’admirable invention des frères Montgolfier. Que ne disait-on pas de ce pauvre ballon sphérique ! M. Baudry de Saunier, un de ses défenseurs pourtant, lui trouve un grand défaut, car il n’est que gaz, et ce gaz est dangereux. Avec lui, dit-il, on ne sait ni où l’on ira, ni à quelle hauteur on montera, ni à quelle vitesse on marchera : le vent, le soleil, la pluie chassent, soulèvent ou abaissent à leur gré la petite bulle et son tout petit panier d’osier. Puis, quelles que soient la durée du voyage, avec ce malheureux ballon sphérique, le retour en chemin de fer, parfois en patache, s’impose, suprême humiliation pour un conquérant de l’espace ! Tout de même, M. Baudry de Saunier exagère un peu. Le ballon libre n’est pas la bulle inerte qu’il prétend ; cette bulle a une volonté, une âme, logées dans le panier d’osier qu’elle emporte, à savoir le pilote, et si le pilote est prudent, habile et courageux, elle peut aller loin et même arriver à un but bien déterminé.

Ne soyons ni trop absolu, ni trop oublieux. C’est avec un ballon sphérique qu’un homme a pu, le premier par la voie aérienne, se riant de l’Océan et de ses menaces, traverser le Pas-de-Calais ; et cet homme, Blanchard, qui emmenait avec lui l’Américain Jeffries, était un Français. Cet exploit éclatant, le premier du genre, eut lieu le 7 janvier 1785. L’émotion qu’il souleva fut, comme de juste, aussi intense que celle que provoque, aujourd’hui, le raid de L. Blériot. De la ville de Calais, aux environs de laquelle il atteint en venant de Douvres, il reçut le titre de citoyen ; de Louis XVI une pension de 1 200 livres, somme considérable pour l’époque ; enfin des Parisiens, toujours spirituels, le surnom de « Don Quichotte de la Manche. »

Ainsi, le ballon sphérique ne mérite pas notre mépris ; il est, jusqu’à un certain point, maniable et, par suite, utilisable. N’empêche, dit-on, qu’il restera toujours un vagabond, lin fou ! Mais, après tout, l’éloge de la folie n’est pas à faire ! Ce sont ces allures de fou qui font et feront toujours le charme du ballon libre, qui font et feront que les rêveurs, les poètes, les aventureux ne cesseront pas de l’aimer. Nous prétendons même que