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Il avait pris soin, dit M. Merlant, de définir son romantisme dans le troisième fragment d’Obermann et dans la XXIe lettre. Il faut y joindre les Observations préliminaires. Là, il s’engage à donner des lumières « peut-être trop négligées » sur les rapports de l’homme avec « ce qu’il appelle l’inanimé. » Il avertit aussi de la « hardiesse » et de l’ « irrégularité » de son style. Il parle en homme qui sent la nécessité d’une réforme totale de la langue. Des alliances de mots toutes faites, des élégances convenues ne sont pas l’affaire d’une pensée riche et libre. Les âmes « profondes » douées de la « véritable sensibilité » et non de l’odieuse « sentimanie » à la mode, pour tout dire, les âmes « primitives » percent au delà des habitudes sociales, et, suivant leur instinct de retour au vrai, se l’établissent dans leurs relations oubliées avec l’ensemble des choses. Tel est, selon Senancour, le propre du romantisme : il suppose une initiation, que la solitude, et surtout celle des paysages alpestres, peut seule donner. « Jetés çà et là dans le siècle vain, » les hommes primitifs se reconnaissent, ils s’entendent « dans une langue que la foule ne sait point, quand le soleil d’octobre paraît dans les brouillards sur le bois jauni... » Grâce à eux, les initiés tardifs pourront vaguement entrevoir les « destinées méconnues » de l’humanité, dont l’œuvre romantique est le « monument » éternellement inachevé. Le romantisme serait une doctrine de réparation, et, comme on dira bientôt, de palingénesie, entretenue et étendue par une élite, en face de toutes les forces qui altèrent et détruisent l’humanité. Ainsi, pour le fond, carrière indéfinie offerte au penseur dans l’étude du monde physique, révélation d’une âme partout répandue dont notre âme peut se faire l’« écho sonore, » symbolisme universel, voilà ce qui est de pur romantisme ; et Obermann ne s’est pas borné à en donner la théorie. Pour le style, importance très grande reconnue à la valeur mélodique des mots, à l’harmonie et au rythme de la phrase, intuition de cette vérité si neuve et si féconde, que l’art littéraire, comme tout autre, vaut par ce qu’il suggère et. vaut par là avant tout : ceci est encore du romantisme et du plus franc.


Là dessus paraît le romantisme, le vrai, celui que fondent Lamartine et Victor Hugo, après Chateaubriand et Rousseau... et Senancour s’en déclare l’ennemi. Le romantisme n’est plus que « le fracas substitué à la vigueur, l’obscurité à la profondeur, à la naïveté la folie, à l’élégance les phrases mal construites. » « Lorsqu’on écrit avec ordre, avec raison, avec justesse, on n’a plus le droit de se croire romantique. »

D’où vient cette protestation inattendue et cette sévérité surprenante ? J’en vois trois raisons. D’abord, en ce temps-là, le romantisme, malgré Chateaubriand, c’était l’école de Chateaubriand. Or l’heureux auteur de René et du Génie du Christianisme, par ses défauts assurément, mais aussi par ses qualités et plus encore par son succès, était souverainement antipathique à Senancour, Quand on lit, dans les Observations sur le Génie du