Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 53.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des religions. Il est donc nécessaire de toujours maintenir ou, au besoin, de rétablir la religion dans sa pureté et dans sa majesté primitives. C’est ce que le christianisme à sa naissance n’a point compris. Le moment pourtant était favorable. « Les conquérans, les esclaves, les poètes, les prêtres païens et les nourrices » étaient parvenus à « défigurer les traditions de la Sagesse antique... Les grandes conceptions étaient avilies. Le Principe de vie, l’Intelligence, la Lumière, l’Eternel, n’était plus que le mari de Junon ; l’Harmonie, la Fécondité, le lien des êtres n’étaient plus que l’amante d’Adonis... Le résultat du génie des races primitives, les emblèmes des lois universelles n’étaient plus que des pratiques superstitieuses dont les enfans riaient dans les villes... La Terre inquiète, agitée, opprimée ou menacée, instruite et trompée, ignorante ou désabusée, avait tout perdu sans avoir rien remplacé ; encore endormie dans l’erreur, elle était déjà étonnée du bruit confus des vérités que la science cherchait. » Les fondateurs du christianisme ne surent point profiter de l’occasion. « Ils fabriquèrent je ne sais quel amas incohérent de cérémonies triviales et de dogmes un peu propres à scandaliser les faibles ; » ils mêlèrent à cela « une morale quelquefois fausse, souvent fort belle, et habituellement austère (seul point sur lequel ils n’aient pas été gauches) ; » puis, par « une maladresse surprenante, » confiant les fonctions religieuses « à des millions d’individus, » ils durent « les abandonner continuellement aux derniers des hommes, » en « compromirent la sainte dignité » et « effacèrent l’empreinte sacrée dans un commerce trop habituel. » Ce n’est point ainsi qu’il fallait agir : « Il fallait élever un monument majestueux et simple sur ces monumens ruinés des diverses régions connues. Il fallait une croyance sublime, puisque la morale était méconnue ; il fallait des dogmes impénétrables peut-être, mais nullement risibles, puisque les lumières s’étendaient. Puisque tous les cultes étaient avilis, il fallait un culte majestueux et digne de l’homme qui cherche à agrandir son âme par l’idée d’un Dieu du monde. Il fallait des rites imposans, rares, désirés, des rites mystérieux mais simples, des rites comme surnaturels, mais aussi convenables à la raison de l’homme qu’à son cœur. » Selon Senancour, la tâche était digne d’un grand génie, et lui-même ne faisait qu’» entrevoir » cette religion parfaite ; c’est pourtant à l’établir qu’il consacra dès lors sa vie et ses forces.