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n’éprouvaient aucune de ses aspirations religieuses ; il avait paru, comme eux, exclure le mystère et réduire l’infini aux étroites limites de la raison raisonnante. Il le comprit bien mieux encore quand il se vit accusé d’athéisme : le reproche l’indigna, lui parut « ridicule, » mais l’obligea à mieux préciser sa pensée, — ou, pour tout dire, à la modifier légèrement. Dans Obermann, il nie ou affirme moins souvent, il doute davantage : loin d’éviter de se contredire, il semble prendre plaisir à le faire et dans sa préface il s’en explique nettement : « Pourquoi serait-on choqué de voir, dans des matières incertaines, le pour et le contre dits par le même homme ?... On observe, on cherche, on ne décide pas. » En effet, il ne décide pas, ou il ne décide plus. S’il paraît toujours panthéiste, du moins il appelle le principe suprême « Force vivante » et « Dieu du monde : » il est tout près de lui rendre et l’intelligence et la personnalité. S’il raille encore les trop faibles raisons sur lesquelles on a voulu fonder l’immortalité de l’âme, du moins il n’ose plus déclarer cette immortalité même impossible ou absurde. C’est pour lui une belle espérance : « Dites qu’il est affreux à notre âme avide de n’avoir qu’une existence accidentelle ; dites qu’il est sublime d’espérer la réunion au principe de l’ordre impérissable : n’affirmez rien de plus. » Il fait mieux ; lui-même il aspire à cette immortalité et elle lui semble en quelque sorte nécessaire à la perfection de l’Univers : « Et moi aussi, j’ai des momens d’oubli, de force, de grandeur : j’ai des besoins démesurés ; sepulchri immemor... Force vivante ! Dieu du monde ! J’admire ton œuvre, si l’homme doit rester ; et j’en suis atterré, s’il ne reste pas. » Enfin, s’il n’a point dépouillé son hostilité envers le catholicisme, s’il lui adresse, dans son état actuel, les mêmes reproches, du moins il reconnaît en lui quelque chose de bon : le catholicisme a fait le bonheur de certains hommes, leur a donné un but, les a mis en paix avec eux-mêmes, a écarté les passions de leur vie, a soulagé leurs maux ; le catholicisme « bien entendu » ferait « les hommes parfaitement purs ; » et Senancour va même jusqu’à protester contre ses ennemis trop partiaux : « Je n’aime point qu’en s’élevant contre les religions on nie leur beauté et l’on méconnaisse ou désavoue le bien qu’elles étaient destinées à faire. » Il se peut que le fond des idées ne soit pas essentiellement modifié ; mais il est certain néanmoins que le ton est tout autre. La tendance religieuse et morale de Senancour perce sous