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LE PRINCE DE BÜLOW.

ne peut le soutenir après avoir suivi l’histoire de son gouvernement. Il a, selon sa propre expression, travaillé avec tous les partis. Pour mieux dire, il s’est servi de tous. Il a maté les conservateurs grâce au Centre en 1901. Il a combattu le Centre grâce aux libéraux depuis 1906. Il a moins recherché leurs approbations que leurs voix, bornant son ambition à être suivi par eux dans le labyrinthe des débats parlementaires. En agissant ainsi, il s’est conformé d’ailleurs à la tradition bismarckienne : « J’ai eu recours, disait Bismarck, au suffrage universel pour effrayer les monarchies étrangères et les empêcher de mettre les doigts dans notre omelette nationale. Je n’ai jamais douté que le peuple allemand, dès qu’il comprendra que le droit de suffrage actuel est une institution nuisible, ne soit assez fort et assez sensé pour s’en défaire. S’il ne le peut pas, la phrase d’un de mes discours, qu’il saurait bien trotter une fois en selle, aura été une erreur[1]. » Erreur, à coup sûr, à considérer le peuple allemand qui tient à son bulletin de vote. Vérité, à considérer ses gouvernans, pour qui l’expression de ce vote n’est jamais impérative et qui, dans les partis élus, ne voient que les élémens indifférens de la chimie politique qu’ils ont mission de mettre en œuvre.

Le prince de Bülow a donc usé de son droit en changeant de majorité. Mais il a commis une erreur dans son appréciation de la force relative de ses majorités. Manieur d’hommes cependant expert, il a succombé pour s’être trompé. Le Centre allemand, dont il a cru pouvoir affronter la rancune, n’est pas seulement le plus fort numériquement des partis qui siègent au Reichstag ; il est aussi, par suite peut-être des rudes épreuves qu’il a subies dans l’opposition, le plus discipliné et le plus actif. Il a d’ailleurs l’heureuse fortune de résumer en lui les deux tendances dominantes de la politique impériale. Il est conservateur dans le sens parlementaire de ce mot, soucieux des grands besoins nationaux et du principe indispensable d’autorité. Il est audacieux dans l’acception sociale du terme, ne reculant point devant les lois de solidarité sociale auxquelles aucun régime ne saurait se soustraire s’il a laissé se dresser en face de lui le suffrage universel. Il est puissant, parce qu’il est à la fois pour la flotte de guerre et pour les retraites ouvrières. C’est ce double motif de puissance qu’a méconnu le chancelier. Et c’est pourquoi, dès le

  1. Bismarck, Pensées et Souvenirs.