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Voilà ce qui donne aux entrevues de Cherbourg et de Cowes la signification d’événemens historiques. Nul, d’ailleurs, ne peut en prendre ombrage. Les intentions des souverains et des chefs d’État sont aussi pacifiques que les aspirations des peuples ; les discours prononcés en sont le témoignage irrécusable ; mais nous sommes en présence d’une Europe nouvelle, où la paix doit être assurée par des moyens nouveaux. Son maintien ne dépend plus d’une seule volonté, mais d’un concours de volontés qui tiennent compte les unes des autres et se respectent mutuellement. Les entrevues d’hier sont l’affirmation publique de la Triple Entente la plus éclatante qui ait eu lieu jusqu’ici. Il ne faut pas abuser sans doute de manifestations de cette nature, car elles perdraient de leur force probante si elles se répétaient trop souvent ; mais quand elles viennent à leur heure, elles sont pour le monde une indication très claire et elles ajoutent quelque chose à sa sécurité.


Cette sécurité n’est sans doute pas compromise par les événemens d’Orient ; néanmoins, on a l’impression qu’il faudrait peu de chose pour mettre en cause la paix dans les Balkans, et que la moindre maladresse pourrait y avoir les pires conséquences. Nous voudrions pouvoir dire qu’aucune n’a été commise : malheureusement, c’est difficile. Il y a eu une imprudence manifeste, de la part des quatre puissances garantes de la situation de la Crète, l’Angleterre, la France, la Russie et l’Italie, à retirer les contingens qu’elles avaient dans l’Ile. Tout le monde le leur a dit ; la presse, dans cette circonstance, a été plus prévoyante que les gouvernemens ; ils n’ont voulu rien entendre. Pourquoi ? Le gouvernement anglais prétextait qu’il avait donné sa parole d’évacuer à date fixe. D’autres se laissaient guider par une sympathie très respectable, et que nous partageons, envers la Grèce et la Crète ; mais c’est une question de savoir si cette sympathie a été aussi éclairée qu’elle était vive, et si la manière dont elle s’est manifestée n’a pas mis la Grèce et la Crète dans une situation difficile, périlleuse, dont il faut maintenant les tirer. On s’y applique, on y parviendra ; mais fallait-il, comme on l’a fait, jouer la difficulté ? De quelque façon qu’il se termine, cet incident laissera de l’amertume dans les esprits, et les solutions de l’avenir n’en seront pas plus simplifiées.

L’incident dont nous parlons s’est produit le lendemain même du départ des contingens des puissances : les Crétois n’ont pas attendu une minute de plus pour faire flotter le drapeau hellénique sur la cita delle de la Canée. C’était une violation manifeste du statu quo qu’on