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talens et tous leurs efforts, soit en évoquant sous ses yeux l’image de sa grandeur et de ses souffrances passées, soit en lui faisant honte de ses fautes, de sa faiblesse, ou de son abaissement d’à présent. Sans compter que, jusque chez les plus « nietzschéens » et les plus « modernes » d’entre eux, pourvu seulement qu’ils soient issus de race polonaise, toujours un héritage séculaire de naïve et fidèle piété chrétienne aboutit à déterminer ce qu’on pourrait appeler une conception « évangélique » des hommes et des choses, une conception qui les porte à faire, relativement, peu de cas de notre vie terrestre, comme aussi à mettre au-dessus de toutes les jouissances égoïstes les joies plus difficiles de l’amour et du sacrifice. De telle façon que leurs œuvres, même en l’absence d’autre mérite esthétique, auraient encore pour nous l’attrait d’une atmosphère morale toute particulière, à la fois plus pure et plus chaude que celle que nous avons coutume de respirer dans nos littératures occidentales. Les âmes qui s’y trouvent traduites ne sont pas, à coup sûr, plus sages que les nôtres, ni sans doute meilleures : mais les plus banales nous frappent par une certaine outrance inconsciente dans le plaisir comme dans la douleur, une espèce de « romantisme » naturel et foncier, qui suffirait à leur valoir notre sympathie.

Et d’ailleurs il s’en faut de beaucoup que ces œuvres polonaises soient dépourvues de qualités littéraires. Peut-être auraient-elles, à nos yeux, le défaut d’être souvent assez « mal composées, » c’est-à-dire de ne point présenter cette ordonnance régulière sans laquelle les dons les plus précieux risquent de demeurer fermés à notre goût latin : mais, aussi bien, n’est-ce pas à notre intention qu’elles sont écrites, et je dois ajouter que bon nombre d’entre elles rachètent ce défaut par une sobriété, un relief, et une élégance d’allures que l’on chercherait vainement dans les autres écoles des pays du Nord. Tout ce qui nous émeut ou nous charme chez les écrivains russes, l’intensité de la vie intérieure et la haute signification philosophique, le mélange d’une franchise intrépide avec une sorte de lyrisme contenu et hautain, tout cela se rencontre, au même degré, dans l’œuvre des principaux représentans de la littérature polonaise, et relevé encore, chez eux, d’un souci plus constant de l’agrément du style. Jusque dans leurs récits les plus imparfaits, toujours nous percevons l’écho d’une race d’artistes, ou plutôt de subtils et délicats « dilettantes, » incomparables à sentir et à aimer la beauté sous toutes ses formes.

Au premier rang de ces romanciers polonais d’aujourd’hui, figurent deux écrivains d’une célébrité à peu près égale, malgré la différence