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maintenant sage et pesé. Telles ces lignes, dans un bel article intitulé : A propos de l’élection de Louis Bonaparte : « Pour avoir été politique et non socialiste, la république modérée est arrivée à mécontenter le peuple. Pour être socialiste et non politique, le peuple arrive à compromettre par un choix imprudent le principe même de sa souveraineté. Mais un peu de patience. Dans peu de temps, le peuple sera socialiste et politique, et il faudra bien que la République soit à son tour l’un et l’autre. »

Dans ses lettres, pourtant, passent des bouffées de colère. Le rêve envolé était encore si récent ! Ainsi elle accueille d’abord, sans examen, les bruits ignobles qu’on fait courir sur le Président, et qu’elle démentira d’elle-même plus tard, avec sa parfaite loyauté : « Oui, vous jugez parfaitement la situation. Leur belle société d’ordre, de modération, de confiance et de prospérité bourgeoise ne tient qu’à un cheveu. Ils voudraient bien tous faire la paix sur le cadavre du peuple. Mais Dieu les punit par eux-mêmes. Ils se haïssent, ils se craignent, ils se trompent, ils se trahissent les uns les autres. Les Bonaparte se donnent des tons de princes. Le président se saoule, m’écrit-on de Paris, il court les drôlesses, veut faire de l’autorité ; pure singerie qui trahit sa faiblesse. L’immense camarilla qu’il traîne après lui le renversera bientôt sans que nous nous en mêlions. Dieu veuille que le bouillant et généreux peuple des faubourgs de Paris ne bouge pas d’ici à quelque temps, afin de donner à ce fantôme d’usurpateur le temps de se dépopulariser dans les provinces. En attendant, l’anarchie morale et intellectuelle est à son comble. Mais vous avez raison, c’est la Providence qui le veut ainsi. Tandis que le grain pourrit, le germe pousse. » (9 janvier 1849.)

Les événemens d’Italie, en cette même année 1849, la comblent de tristesse. L’entrée de l’armée française à Rome, la restauration de la souveraineté pontificale, la soumission de Venise à l’Autriche, les mesures de rigueur dirigées à Naples contre les libéraux détruisent une à une des illusions très chères. Car George Sand aime l’Italie comme une seconde patrie. Surtout, elle est dans l’angoisse au sujet de Mazzini, ce héros anticipé de l’indépendance italienne, en qui elle a senti une âme pareille à la sienne. Où a-t-il pris son chevet en ce moment ? Poncy est chargé de lui faire tenir, par voie spéciale, une lettre éloquente[1], qu’elle escorte de ces mots (24 juillet 1849) :

  1. Parue dans la Correspondance, t. III, p. 161-163.