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sans pouvoir, des prétentions sans ressources ; l’impossibilité de se défendre elle-même la rendant incapable de défendre le peuple, elle était déchue de sa fonction. Précisément, les Capétiens avaient cette force qui manquait à leurs rivaux : un domaine. Dans un siècle où la terre est le seul appui, où la possession des villes, des bourgs, des châteaux, des hommes, donne la vraie puissance, ils avaient les uns et les autres : Orléans, Etampes, Paris, Bourges, ce territoire qui les a établis au cœur de la France, à la jonction de la Seine, de la Loire, de la Saône, à ce croisement des grandes régions du pays, d’où ils peuvent voir, commander, agir.

Ce pouvoir royal ainsi défini, l’historien le regarde vivre. On l’avait cru débile et fainéant ; il le montre au contraire énergique, actif, habile. Il en analyse les fonctions et les organes, les agens et les ressources, les attributions administratives ou judiciaires, les relations politiques avec les. différentes classes du pays : l’Eglise, les grands, le peuple ; allié de l’une, hostile aux autres, tantôt favorable, tantôt contraire aux progrès du dernier ; bref, à la fois tenace et souple, maintenant toutes les traditions anciennes de la monarchie, mais se servant de toutes les idées, de toutes les forces nouvelles de son temps, se concentrant sur son propre domaine, en sortant dès qu’il le veut ou qu’il le peut, et sous la diversité des caractères, l’inégalité des mérites, présentant une suite dans les desseins, une fermeté dans la conduite qui va, peu à peu, à la féodalité triomphante donner son maître et son chef. Jusqu’alors, les historiens n’avaient retenu que les annales des plus grands Capétiens, celles d’un Louis VI, d’un Philippe-Auguste, d’un saint Louis. Voici soudés les anneaux de la chaîne qui les rattachent à leurs prédécesseurs. L’œuvre brillante de ces grands fondateurs était inexplicable sans celle, plus modeste, de leurs devanciers. M. Luchaire nous montre que les quatre premiers Capétiens n’ont pas seulement fait vivre leur dynastie : ils ont préparé lentement, mais sûrement, le retour à l’unité.

Ces idées, aujourd’hui, nous sont familières. En 1883, elles étaient une découverte. Et telle est la vérité du tableau tracé alors, qu’il n’a subi, depuis, que très peu de retouches. Ce n’était cependant pour l’historien qu’une partie de sa tâche. Il entendait lui-même réviser, compléter ses recherches. Une série d’études vont achever de nous initier à cette connaissance des premiers siècles capétiens.