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nature. On le préparait à l’enseignement. A vingt ans, il entre à l’Ecole normale. Le voici désormais dans cette Université qu’il ne quittera plus et où il avancera vite. Agrégé d’histoire en 1869, il est nommé professeur au lycée de Pau, puis à celui de Bordeaux, en 1874 ; trois ans plus tard, dans cette même ville, il entrera à la Faculté des lettres, où, en 1879, ses thèses lui vaudront une chaire magistrale. En avril 1885, il était appelé à Paris. Son avenir universitaire était fixé. A ce moment même s’était révélée sa vocation.

A vrai dire, celle-ci s’était éveillée assez tard. Rien dans le petit écolier studieux de Lyon ou de Paris n’avait trahi ce « démon » mystérieux qui, dès l’enfance, nous pousse vers nos destinées. A l’Ecole, l’influence de M. Zeller l’avait conduit vers l’histoire, sans l’y confiner. Ses premiers travaux furent un tâtonnement. Il s’occupe d’abord d’histoire locale. En 1873, il débute par une notice sur les origines de la maison d’Albret, qui sera comme la préface de sa thèse sur Alain le Grand. Mais notre historien s’aventurait aussi dans la linguistique. Il s’éprend du pays basque et consacre à sa langue deux articles et une thèse latine. Les difficultés d’une telle entreprise, le long noviciat philologique qu’elle imposait lui firent renoncer à ces recherches. En mettant au concours, en 1880, une Étude sur le pouvoir royal à l’époque des Capétiens, l’Académie des Sciences morales lui rendit le service de lui montrer sa voie. M. Luchaire prit goût au sujet : il concourut ; il eut le prix. Ce fut une indication sûre. Le mémoire remanié devait devenir un livre. En 1883, parut, en deux volumes, l’Histoire des Institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens. C’était la première grande œuvre historique de M. Luchaire, celle qui devait fonder sa renommée.

Du premier coup, il prenait possession de son domaine, celui qu’il occupera, explorera pendant seize ans, ces trois siècles de vie obscure, où, dans la décomposition de la société créée par Charlemagne, fermente une société nouvelle, et où, du chaos des races pêle-mêle confondues va sortir la France. Sur cette période, rien alors, ou presque rien, que des livres incomplets ou superficiels, des erreurs ou des légendes. Il semblait que l’œuvre des Capétiens commençât avec Philippe-Auguste, que seule, dans cette succession d’ombres falotes et grises qui l’avaient précédé, se dessinât avec quelque relief la figure de