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ACHILLE LUCHAIRE

M. Achille Luchaire est mort le 13 novembre 1908. Il avait soixante-deux ans. Frappé en pleine force, par la soudaine attaque d’un mal imprévu et implacable, il venait de recevoir, de l’Académie des Sciences morales, le prix Jean Reynaud, la plus haute de ses récompenses. L’Académie couronnait l’auteur d’Innocent III ; en réalité, elle consacrait une vie et une œuvre. Cet hommage, le dernier, était bien dû à l’homme qui, par la noblesse du caractère, la probité de la pensée, l’énergie du labeur, fut pour l’Université un grand exemple, au savant qui par vingt-cinq années de recherches, d’enseignement, de publications, laisse à son pays un souvenir et un monument durables. Je voudrais dire ce que furent l’homme et le savant. Nous verrons ainsi ce que nous lui devons et quelle perte a faite l’érudition française en le perdant.

Le futur historien de Philippe-Auguste et d’Innocent III était né à Paris le 24 octobre 1846. Sa jeunesse fut rude. Il n’avait pas dix ans, quand il perdit son père, chef de bureau au ministère de l’Intérieur. Cette première épreuve ne fut pas sans influence sur la formation de son caractère et de ses idées. Il n’en comprit que mieux, par la leçon cruelle des choses, cette loi du travail dont sa famille même lui avait prêché l’exemple. A Panissières, chez les Frères de la Doctrine chrétienne, où il débute, aux lycées de Saint-Étienne, de Lyon, puis à Henri IV où il poursuit et achève ses études, l’enfant laisse entrevoir déjà ce que sera l’homme : ce goût du travail, cette conscience, cette rectitude en toutes choses qui formeront les traits dominans de sa